Homélie de Clôture de l’année jubilaire
de la Dédicace de la chapelle de La Tour Saint-Joseph
Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes
Saint-Pern, le dimanche 8 décembre 2019
Isaïe 11, 1-10
Psaume 71 (72) 1-2, 7-8
Romains 15, 4-9
Matthieu 3, 1-12
Tout d’abord, permettez-moi juste un mot. Nous l’avons entendu, saint Paul écrit sa lettre aux Romains, c’est-à-dire aux chrétiens qui sont à Rome. Or ces chrétiens sont divisés, pour des raisons politiques, entre ceux qui viennent du judaïsme, qui ont reconnu que Jésus est le Messie, et les païens, qui ne sont pas juifs, et qui croient que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu.
Ainsi saint Paul les exhorte pour qu’ils vivent unis les uns aux autres, pour qu’ils s’accueillent les uns les autres : "accueillez-vous donc les uns les autres comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu".
Nous entendons que le Christ a accueilli les uns en raison de la fidélité de Dieu, pour réaliser ses promesses, et les autres en raison de sa miséricorde.
Ainsi, nous découvrons le grand plan de Dieu. Dieu est fidèle à sa promesse : il est éternellement fidèle à sa promesse. Voici qu’en disant cela, saint Paul met le doigt sur nos tentations. Nos tentations, c’est précisément de penser que Dieu n’est pas fidèle. Nous l’avons dans la bouche de Jésus : "Eloi, Eloi lama sabactani". Pourquoi m’as-tu abandonné ? Voilà que le Seigneur Jésus éprouve en lui toutes nos tentations, et ce sont précisément des tentations sur la fidélité. Peut-être parce que nous pensons, avec orgueil, sans en avoir conscience, à notre fidélité alors qu’il s‘agit d’abord de la fidélité de Dieu à son appel vis-à-vis de nous. Il s‘agit d’abord de se quitter soi-même pour se mettre devant le choix de Dieu et devant sa fidélité.
Enfin, si nous sommes mis devant la fidélité de Dieu, nous sommes aussi mis devant sa miséricorde. Rien ne s’explique sur terre sans la miséricorde de Dieu, c’est l’ultime révélation du nom de Dieu : Dieu est le Miséricordieux. Dieu fait toujours miséricorde ! Là aussi, nous sommes mis devant nos tentations qui consistent à vouloir par nous-mêmes avancer vers le bien, vers la sainteté, alors que tout provient de la miséricorde de Dieu.
Ainsi, quand nous reprenons ce petit texte de saint Paul tiré de la lettre aux Romains, nous comprenons que nous pouvons nous accueillir les uns les autres, car nous pouvons chacun nous regarder les uns et les autres en pensant à la fidélité de Dieu pour chacun. Pour cette personne-là, pour cette personne qui surgit dans l’existence et qui vit. Que c’est beau de regarder la fidélité de Dieu sur chaque membre de notre famille, sur chaque membre de notre communauté, sur chaque membre de Ma Maison ! Que c’est beau de regarder chaque membre de ma famille, de ma communauté, de Ma Maison en le plaçant sous la miséricorde de Dieu. Et ainsi dans une vie, rien n’est étonnant, rien n’est surprenant, rien n’est déroutant si nous savons regarder la fidélité de Dieu vis-à-vis de cette personne, si nous savons regarder la miséricorde de Dieu qui est sur cette personne.
Mais comment faire pour avoir ce regard qui est toujours un regard de vérité, qui n’est plus un regard superficiel ? Comment faire pour n’avoir dans notre vie que ce souci de la fidélité de Dieu sur autrui, pour avoir dans notre vie cette consolation qui vient des Écritures et qui nous donne à voir cette miséricorde de Dieu sur les uns et sur les autres ?
Alors nous pouvons écouter le prophète Isaïe qui est relayé par le prophète saint Jean Baptiste. Saint Jean Baptiste nous dit : « Lui, vous baptisera dans l’Esprit Saint. » C’est bien cela que nous entendons dans le prophète Isaïe : "Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines".
Qui est ce rejeton qui vient ? Qui est ce rameau qui sort de la souche de Jessé, ce rameau totalement nouveau, ce rejeton que personne n’avait imaginé, celui que nous n’attendions plus tellement nous étions habitués à nos habitudes, tellement nous étions résignés à ce que nous sommes, à ce que sont les autres ?
Comme me l’a dit un jour mon père quand j’avais 18 ans : « Tu sais, depuis que le monde est monde, il est monde. » Cela voudrait dire qu’il y aura toujours des guerres, des violences, des injustices, des pauvres qui seront rejetés, des personnes dont la dignité humaine sera bafouée.
Alors le prophète Isaïe, devant ce qu’expérimente le peuple d’Israël, qui est bafoué, rejeté, méprisé, mis dans l’injustice, annonce le rejeton va jaillir : voici que le rameau va sortir, et celui qui sort, celui qui jaillit, il est rempli de l’Esprit Saint, il est habité par l’Esprit. C’est l’Esprit du Seigneur qui est sur lui ! Isaïe décline cet Esprit : c’est un Esprit de sagesse, de discernement, de conseil, de force, de connaissance et de crainte du Seigneur. Saint Paul nous dit tous les fruits de l’Esprit : l’amour, la patience, la joie, la douceur, la foi, la maîtrise de soi. Ainsi, nous pouvons décliner sans cesse cette présence de l’Esprit, cette puissance de l’Esprit qui est là.
Ainsi, quand il y a la dédicace d’une église, est mise sous nos yeux la figure du rameau qui est sorti une fois pour toutes, la figure du rejeton qui nous a été donné une fois pour toutes : le Christ sauveur, le Christ rédempteur. Mais voilà que dans la dédicace d’une église, il y a par-dessus tout le don de l’Esprit, la lumière de l’Esprit, la force de l’Esprit, la présence de l’Esprit Saint. Car celui que nous contemplons, (nous avons en effet les yeux fixés sur celui que nous avons transpercé), l’Ecriture nous dit que c’est par la puissance de l’Esprit qu’il s’est offert sur la Croix, c’est par la puissance de l’Esprit qu’il a donné sa vie. Le Seigneur Jésus est totalement rempli de l’Esprit et, à sa suite et en lui, tout rameau qui sort, tout rejeton qui jaillit a part à son Esprit. Rien ne se fait sans l’Esprit Saint, rien n’advient selon Dieu sans le don de l’Esprit Saint, sans la présence de l’Esprit Saint.
Voici qu’en un temps de désert et de misère, au lendemain de la Révolution française, où tant d’injustices sont perpétrées, tant de pauvres sont dans la rue, voici qu’à nouveau, comme de façon éternelle, un rejeton jaillit : elle s’appelle Jeanne. Voici que sur elle repose l’Esprit. Voici que dans son union à Jésus, elle a part à ce don de l’Esprit. Avec ce don de l’Esprit, la justice est la ceinture de ses hanches, la fidélité est la ceinture de ses reins, elle est habitée au plus profond d’elle-même comme dans un cœur purifié par la justice et par la fidélité. Et que fait-elle ? Tout simplement un acte de justice tout simple, un acte de justice selon Dieu. À une femme âgée aveugle, qui est dans les rues de St Malo, elle donne son lit : voilà la justice. Plus que cela : habitée par la fidélité, Jeanne donne son lit pour toujours. Elle sera fidèle, cette petite Jeanne, à cette justice selon Dieu.
Il en est ainsi de ceux qui se laissent prendre par l’Esprit de Jésus, ceux qui se laissent habiter par l’Esprit : leur cœur devient buriné par la justice et la fidélité de Dieu. Leur cœur, à l’image de Dieu, sont épris de justice et de fidélité, remplis de miséricorde. Voilà notre œuvre, à nous les chrétiens.
Si nous avons pu vivre ici pendant une année le jubilé de la dédicace de votre église, nous avons pu y recevoir l’indulgence de Dieu qui non seulement nous pardonne nos péchés mais qui va affiner nos cœurs, les débarrasser de ses blessures, de ses brisures, de ses faiblesses pour les revêtir de justice et de fidélité car Dieu ne veut pas simplement pardonner nos péchés mais il veut réparer ce que les péchés ont abîmé en nous. Voilà l’indulgence. Et selon son indulgence, il répare pour que nous puissions accomplir notre vocation de la façon la plus juste qui soit.
Oui, aujourd’hui, dans ce jubilé de la dédicace de cette église, au moment de la clôture de ce jubilé, il y a quelqu’un ici que nous devons aimer, que nous devons vénérer, que nous devons adorer. Il y a quelqu’un ici qui nous aime plus que nous ne pensons : c’est l’Esprit saint, le "Père des pauvres". Quelle paternité de l’Esprit pour nous !
Il est toujours là, avec fidélité et miséricorde, pour réparer ce qui est abîmé, pour purifier ce qui est impur, pour redresser ce qui a été tordu, pour consoler ce qui est dans l’amertume, de telle manière que se lèvent des enfants de Dieu, des enfants de lumière, de telle sorte qu’en voyant ces enfants agir, nous voyions la miséricorde et la fidélité de Dieu.
Que sainte Jeanne Jugan, qui a voulu s’appeler Marie de la Croix, prie pour nous et nous obtienne de Dieu la confiance en son indulgence, en sa fidélité et en sa miséricorde. Que sainte Jeanne Jugan nous obtienne du Christ la grâce d’aimer l’Esprit Saint, de croire en lui, et de nous remettre à sa bonté, lui que nous appelons "Père des Pauvres".