Jeanne Jugan et Jean Eudes sont séparés par presque deux siècles, mais Jeanne a toujours vécu sa foi dans la spiritualité eudiste. Cette spiritualité a naturellement été transmise à sa congrégation, les Petites Sœurs des Pauvres.
Dès son enfance, Jeanne est au contact avec la spiritualité de saint Jean Eudes. Née en 1792, en pleine Révolution Française, la pratique religieuse est interdite sous peine de mort. Mais les Cancalais tiennent à leur foi ! Ils la transmettent en famille et dans les foyers, des cours de catéchisme clandestins sont donnés par des femmes qui passent inaperçues aux yeux des révolutionnaires mais qui portent en elles une marque spéciale : elles sont consacrées à Dieu et appartiennent à la Société des Enfants du Cœur de la Mère Admirable. Ce groupement est un tiers-ordre fondé par saint Jean Eudes.
Jeanne, enfant, reçoit de ces femmes l’instruction : non seulement le catéchisme, mais aussi l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Elle reçoit aussi de ces consacrées un témoignage de vie chrétienne et de courage apostolique.
Jeanne quitte Cancale pour Saint-Servan avec la certitude de vouloir consacrer sa vie à Dieu et au service des pauvres, et dès l’âge de 25 ans, elle devient à son tour tertiaire eudiste. Le choix du célibat, avec le vœu de chasteté, fait partie de l’engagement dans le tiers-ordre.
L’enseignement de Jean Eudes repose sur la prise de conscience et la mise en œuvre de l’engagement du Baptême. Pour actualiser la grâce de notre Baptême, les moyens proposés sont simples, accessibles à tout chrétien :
- être attentif aux autres, surtout lorsqu’ils sont en difficulté,
- avoir le souci de faire connaître l’Évangile,
- prendre du temps pour la prière,
- aimer le silence qui permet de goûter la présence de Jésus en nous…
"La vie chrétienne, c’est une continuation et un accomplissement de la vie de Jésus.
Nous devons être autant de Jésus sur la terre pour continuer sa vie et ses œuvres.
Nous devons être animés de l’Esprit de Jésus, vivre de sa vie, être revêtus de ses sentiments." Jean Eudes
Cette spiritualité est dite christocentrique.
Le règlement du Tiers-Ordre proposait des pratiques et consignes, bien sûr, mais surtout, il éduquait à une grande liberté que l’on retrouvera aussi plus tard chez Jeanne Jugan. Un article précise : "Elle (la tertiaire) ne demande point à aller à l’église, aux cérémonies religieuses, lorsque sa présence est nécessaire ailleurs" et encore, non sans humour : "Elle craint de ressembler à ces prétendues dévotes, qui, par leur air sombre, par leur caractère acariâtre et difficile, font tourner en ridicule la dévotion."
Lorsque Jeanne donne son lit à la vieille Anne Chauvin au cours de l’hiver 1839, elle a derrière elle plus de vingt ans d’engagement eudiste. Telle que l’on connaît Jeanne Jugan, il est certain qu’elle a vécu ces années de façon totalement sincère et radicale. Son geste fondateur est un fruit logique de cette vie toute donnée au Cœur de Jésus et de Marie. La suite des événements confirme à quel point cette spiritualité a été sa force.
Le pape Jean-Paul II proclamait en béatifiant Jeanne Jugan, que "Dieu ne pouvait glorifier plus humble servante".
L’humilité est l’un des traits les plus forts de la figure de Jeanne.
"L’humilité est la vertu propre et spéciale des chrétiens,
sans laquelle il est impossible d’être véritablement chrétien.
C’est elle qui attire toutes sortes de bénédictions dans nos âmes…
C’est cette vertu, jointe à l’amour, qui fait les saints et les grands saints." Jean Eudes
Jeanne a gardé ces paroles, comme Marie méditait les événements dans son cœur. Elles l’ont aidée à discerner et à réaliser le projet de Dieu sur elle.
Jeanne a toujours éprouvé pour la Sainte Vierge des sentiments de grande confiance et de tendresse. Elle les a légués à sa Congrégation. Nos Constitutions actuelles portent des similitudes frappantes avec le règlement du Tiers-Ordre d’alors.
L’humilité, la simplicité, la recherche de Dieu en toutes choses, l’amour d’une vie cachée avec Jésus en Dieu, la pratique du silence, la confiance pleine de tendresse envers la Vierge Marie, font partie de l’héritage eudiste que les Petites Sœurs tâchent de faire fructifier dans leur vie, …avec la grâce de Dieu !
Être chrétien et être saint, ce n’est qu’une même chose.
"Vous me demanderez peut-être comment il se peut faire qu’une créature aussi fragile,
faible et misérable que l’homme, puisse être sainte comme Dieu est saint.
Mais je vous répondrai : bien que cela soit impossible à la faiblesse humaine,
c’est pourtant possible et même facile avec la grâce de Dieu qu’il ne refuse à personne
quand on la lui demande de bon cœur.
Que faut-il faire pour cela ? Une seule chose et une chose qui est très douce.
Qu’y a-t-il de plus doux et de plus facile que d’aimer ?
Aimez ce Dieu très bon et très aimable et vous serez saint." Jean Eudes