HOMÉLIE A L’OCCASION DE LA CANONISATION DE JEANNE JUGAN
ST-PAUL-HORS-LES-MURS, samedi 10 octobre 2009
Cardinal Jean-Louis Cardinal Tauran
Jeanne Jugan n’a rien écrit : une signature au bas d’un acte notarié !
Mais elle a vécu de manière héroïque ta pauvreté et l’humilité jusqu’à devenir un modèle de vie chrétienne pour l’Eglise tout entière : elle sera donc canonisée demain. Comment une existence si modeste peut-elle avoir été si féconde, avoir donné naissance aux Petites Sœurs des Pauvres aujourd’hui présentes dans plus de cinquante pays ? Elle-même nous l’indique de manière indirecte : « ne m’appelez plus Jeanne Jugan. Jeanne Jugan est morte voilà quarante ans (le jour de sa profession). Il ne reste plus que sœur Marie de la Croix, bien indigne de ce beau nom ». Oui, c’est parce qu’elle a voulu demeurer attachée à la croix de Jésus, qu’elle a su, comme lui et avec lui, regarder, comprendre et secourir. Comme Jésus, c’est par l’amour qu’elle a porté du fruit !
La vie de Jeanne Jugan nous rappelle que seuls l’amour de Dieu et l’amour des frères est le but de la vie. En dehors de l’amour règne la haine, le mensonge, l’indifférence, la méfiance. En dehors de l’Amour, il n’y a pas de Dieu et il n’y a pas d’homme ! Les paroles d’Isaïe prennent alors un relief particulier : «partage ton pain … héberge le pauvre … ne te dérobe pas à ton semblable ». Nourrir, héberger, c’est bien sûr combler les besoins et les droits de l’être humain, mais c’est aussi soigner, éduquer, donner un emploi. C’est rendre la vie possible. C’est donner à l’existence humaine son sens et sa beauté.
Jeanne nous a laissé un héritage à la fois lourd de sens et d’une grande simplicité. À son image ! Elle nous invite à :
- ne jamais baisser les bras devant la misère, l’échec, le désespoir. Nous, chrétiens devons être là où ça fait mal ! Être là et persévérer dans l’amour : « Mes pauvres avaient faim hier, ils ont encore faim aujourd’hui et demain, ils auront encore faim ». .
- partager : il ne suffit pas de donner, il faut être solidaires avec ceux qui ont besoin de nous. Il faut les comprendre et les amener à grandir, à conserver ou à récupérer leur dignité : « rendre les pauvres heureux; c’est tout».
- prier pour ne pas devenir de simples volontaires mais des envoyés de ce « Jésus qui a donné sa vie pour nous ». Lorsque vous serez auprès des bons vieillards, vous les soignerez bien, car c’est Jésus que vous soignerez en eux. Ce sont les membres souffrants de Notre Seigneur ».Voilà ce que signifie « aimer non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité» !
Qui ne comprend l’étonnante modernité de cette spiritualité ? Certes, depuis l’époque de Jeanne Jugan, les choses ont changé : les progrès de la médecine, l’organisation des soins, la protection sociale ont considérablement amélioré la condition des personnes en situation de précarité. Mais les pauvres sont toujours là. La solitude des personnes âgées, le clivage des générations au sein même de la famille sont des réalités qui ne sauraient nous laisser indifférents, nous disciples de Jésus. D’autant plus que ce matin, son sermon sur la montagne est venu nous rappeler que quelles que soient nos épreuves, depuis la croix, elles ne sont plus un non-sens. Jésus certes n’a pas promis le bonheur mais la béatitude, c’est-à-dire la certitude qu’à cause de Jésus ressuscité, rien ne peut nous faire désespérer :« Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité… en tout cela nous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés… (Rien) ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur » (Rom 8, 35-39).
Dans sa dernière encyclique Deus caritas est, Benoit XVI remarque , que« l’homme, au-delà de la justice, a et aura toujours besoin de l’amour» (n. 29). Alors, je me demande si, à supposer que les chrétiens aient un pouvoir à exercer dans le monde d’aujourd’hui où chiffes, apparences, performances exercent souvent une véritable tyrannie, je me demande si ce ne serait pas le « pouvoir du cœur » :
- prendre le temps d’écouter et de comprendre l’autre;
- lui réserver un regard bienveillant ;
- savoir dire merci ;
- ne pas prétendre d’avoir toujours raison;
- ne pas hésiter à dispenser une caresse à l’infirme ou au malade;
- partager les préoccupations comme les joies de nos frères.
Eh ! bien, ce « pouvoir du cœur », vous l’exercez, chères Sœurs, en suivant l’exemp
le de Jeanne Jugan dont l’ambition était, au-delà des soins, de rendre l’autre heureux. Chacun de vos pensionnaires peut appeler le bâtiment où il habite et la communauté qui l’accueille « ma maison » ! Comme cela est beau et réconfortant ! Soyez remerciées pour ce que vous êtes et pour ce que vous faites ! A chacune d’entre vous ce matin, Jeanne redit ce qu’elle répétait souvent aux novices : « pour être une bonne petite sœur, il faut beaucoup aimer le bon Dieu, aimer les pauvres et s’oublier soi-même ». Continuez à manifester la tendresse infinie de Dieu pour tout être humain, telle que la manifeste admirablement cette Eucharistie.
Frères et Sœurs, nous aussi, stimulés par l’exemple de Jeanne Jugan et confiants dans son intercession, prions les uns pour les autres afin que nous soit donnée la grâce de savoir trouver les mots justes, adopter les comportements opportuns et susciter d’utiles initiatives pour que nos communautés et nos institutions manifestent toujours mieux la tendresse de Dieu puisque, nous dit Jésus, « ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,35). Oui, puissent nos familles, nos paroisses, nos écoles, nos maisons d’accueil être d
es communautés de charité, d’hospitalité et de louange ! N’est-ce pas cela que Jeanne Jugan a réussi et a transmis ? Au fond, sa vie et son œuvre pourraient bien se résumer en ces quelques mots ; c’est avec de la bonté que l’on créé du bonheur autour de soi ! Que sainte Jeanne Jugan nous accompagne et nous soutienne sur la route où, avec nos frères et sœurs en humanité, nous cheminons dans l’espérance que ce Dieu d’amour nous mènera «jusqu’à la claire vision de sa splendeur ».
Jean-Louis Cardinal Tauran