HOMÉLIE A L’OCCASION DE LA CANONISATION DE JEANNE JUGAN
Sanctuaire du Divin Amour (Divino Amore)
Lundi 12 octobre 2009
Cardinal Bernard LAW
Nous sommes rassemblés en cette célébration eucharistique afin de rendre grâce à Dieu pour la canonisation de sainte Jeanne Jugan, qui portait en religion le beau nom de Sœur Marie de la Croix. Par son intercession, nous prions Dieu, notre Père céleste, que sa canonisation contribue au renouveau spirituel des Petites Sœurs des Pauvres, et en fait, de toute l’Église, qu’il encourage la générosité de tous ceux qui sont associés à l’œuvre des Petites Sœurs, et soit une source spéciale de bénédictions pour les pauvres, les abandonnés et les personnes âgées du monde entier envers lesquelles sainte Jeanne Jugan avait une prédilection.
D’une manière simple et directe, le Catéchisme de l’Église Catholique explique en ces termes le sens d’une canonisation : « En canonisant certains fidèles, c’est-à-dire en proclamant solennellement qu’ils ont pratiqué héroïquement les vertus et vécu dans la fidélité à la grâce de Dieu, l’Église reconnaît la puissance de l’Esprit de sainteté qui est en elle, et elle soutient l’espérance des fidèles en les leur donnant comme modèles et intercesseurs. « Les saints et les et les saintes ont toujours été source et point de départ d’un renouveau dans les moments les plus difficiles de l’histoire de l’Église. » En effet, « la sainteté est la source secrète et la mesure infaillible de son activité apostolique et de son élan missionnaire » (CEC n°328).
Méditons maintenant sur les paroles de la Sainte Écriture que nous venons d’entendre, à la lumière de la vie de sainte Jeanne Jugan. Que sa sainteté soit pour nous source et point de départ d’un renouveau, en ce moment difficile de l’histoire de l’Église.
Les Béatitudes, que nous venons d’entendre dans l’Évangile, « sont au cœur de la prédication de Jésus », selon le Catéchisme de l’Église Catholique. En d’autres termes, si nous voulons faire nôtre l’enseignement de Jésus, nous devons non seulement écouter le message des Béatitudes, mais aussi le vivre. Le mot « béatitude » signifie « bonheur », mais, il signifie bonheur en un sens qui dépasse tout ce que le monde peut offrir. C’est un bonheur qui se traduit par :
- la venue du Royaume de Dieu ;
- la vision de Dieu ;
- l’entrée dans la joie du Seigneur ;
- l’entrée dans le repos de Dieu.
C’est un tel bonheur que sainte Jeanne Jugan cherchait depuis son jeune âge. Elle avait eu la grâce de recevoir la foi de sa mère et des personnes au milieu desquelles elle avait grandi. Dès son jeune âge, fleurit en elle la prise de conscience de la Divine Providence, entretenue par l’amour du Seigneur, en tant que Fils de Dieu et fils de Marie ; elle savait que sa mort et sa résurrection étaient la source et le sommet de sa propre vie ; elle aimait la mère de Jésus comme sa propre mère, et elle voyait dans les pauvres le visage du Fils bien-aimé de Dieu.
Nous comprenons les paroles de Jésus à la lumière de la vie de sainte Jeanne Jugan : « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu ».
Dès son plus jeune âge, avant que l’idée d’une communauté religieuse ait pris forme dans son esprit, les mots de notre seconde lecture ont été gravés dans son cœur. Réécoutons ces paroles de Jean : « Celui qui n’aime pas reste dans la mort… Mes enfants, nous devons aimer : non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité ».
C’est par une froide nuit, en 1839, alors que Jeanne avait 47 ans, qu’elle vit dans une femme aveugle, âgée et totalement démunie, la pleine signification de l’amour auquel le disciple du Christ est appelé. Elle transporta cette vieille femme malade dans ses bras comme le précieux fardeau qu’elle était – la présence du Christ. Elle l’emporta dans sa modeste demeure, qu’elle partageait avec deux femmes ayant le même esprit et le même cœur, et ainsi commença le déploiement de ce que nous connaissons maintenant comme les Petites Sœurs des Pauvres.
C’est cette sorte de jeûne, nous dit Isaïe, qui plaît au Seigneur : « Partager ton pain avec celui qui a faim, recueillir le malheureux sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, et ne pas te dérober à ton semblable ». C’est ce qu’a fait Jeanne en cette nuit d’hiver de 1839, et tel a toujours été dès lors le service plein d’amour des Petites Sœurs des Pauvres.
Elle a vu en la pauvre femme « son semblable », bien plus, elle a vu en cette pauvre femme le Christ souffrant. Le terme « Petite Sœur » n’est pas qu’un mot ou une expression de sentiment, c’est plutôt une profonde déclaration de foi signifiant que, dans la grâce du Seigneur ressuscité, nous sommes capables d’appeler Dieu notre Père, et que nous sommes tous ses enfants, appelés à nous aimer les uns les autres.
Comme tous les autres saints, Jeanne a vu plus clairement sa propre pauvreté, à mesure qu’elle était plus attirée dans la communion mystique avec le Dieu Trine. Elle était, comme chacun de nous doit s’efforcer de l’être, à la fois Marthe et Marie. En tant que Marthe, elle devint légendaire pendant sa vie pour sa capacité à soutenir et même agrandir un réseau de maisons pour les pauvres, s’appuyant avec une confiance d’enfant sur la Providence, et pour sa détermination à devenir pauvre pour les pauvres, n’ayant pas honte de quêter.
En même temps, elle était Marie, aux pieds du Seigneur, en communion de prière devant l’Eucharistie, priant son chapelet, et toujours émerveillée de la Providence de Dieu, voyant le reflet de sa beauté dans les pauvres, les oubliés, les isolés, et dans les personnes qui répondaient généreusement à sa quête pour le Christ pauvre présent au milieu de nous.
Sa vie active était soutenue par une communion qui allait toujours s’approfondissant avec Dieu, Père, Fils et Esprit Saint.
Le Catéchisme de l’Église Catholique enseigne que « les béatitudes dépeignent le visage de Jésus-Christ et en décrivent la charité ; elles expriment la vocation des fidèles associés à la gloire de sa passion et de sa Résurrection… Elles sont les promesses paradoxales qui soutiennent l’espérance dans les tribulations ».
Le paradoxe des béatitudes est toujours si évident dans ces paroles de Jésus : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ».
Durant les 27 dernières années de sa vie, sainte Jeanne Jugan a vécu cette béatitude. Ce n’est ni le moment ni le lieu de s’appesantir sur les facteurs qui ont mis un terme à sa direction active des Petites Sœurs. Étant donné notre but, il suffit de louer la Divine Providence qui a été capable de tirer du bien d’une situation injuste et mauvaise.
Ces années ont été pour Sœur Jeanne Jugan un temps de communion toujours plus profonde avec le Seigneur ressuscité. Ce fut le moment pour elle de tirer grand réconfort de son nom de religion : Sœur Marie de la Croix. Ce fut un temps d’intercession dans la prière pour ses bien-aimés pauvres. Ce fut un temps pour parler, à partir de son silence, à des centaines de jeunes postulantes et novices. Dans la Providence de Dieu, ces 27 années lui ont permis de témoigner du charisme spécial des Petites Sœurs des Pauvres d’une manière telle qu’une vie plus active n’aurait pas rendu possible.
Quelle grâce c’est donc pour nous, en ce jour, de pouvoir dire : « Sainte Jeanne Jugan, Marie de la Croix, priez pour nous ! »