Ernest Lelièvre
Frère des Pauvres 1826 - 1889
"En ce moment qui est peut-être le dernier pour moi, étant encore en plaine connaissance, je tiens à protester qu'en aucune sorte je n'ai travaillé pour mes intérêts propres, ni cherché à gagner les créatures. Jésus-Christ est le seul maître; c'est lui seul qu'on doit servir, lui le roi immortel des âmes!"
Artisan de fondations
Ses œuvres le louent par elles-mêmes. Il avait été l'un des principaux instruments de cette merveille...
Paris et les maisons de France vont bénéficier tout d'abord de sa présence. A cette époque, le Congrégation en compte près de quarante, avec une première maison en Angleterre et deux en Belgique(Liège et Bruxelles). Une première fondation est confiée au Père Lelièvre à la fin de 1855. Il inaugure à Strasbourg la mission qui sera la sienne durant plus de trente ans. "Quelle misère que celle de ces commencements !" (Ernest Lelièvre et les fondations des Petites Sœurs des Pauvres (1826-1889), Paris, J. de Gigord, 1923 (4e édition). pp. 86-87.
La fondation de Strasbourg sera suivie de plus de deux cents autres, dont le Père Lelièvre fut le principal ouvrier. "Pendant trente-cinq ans, on vit un prêtre misérablement vêtu, non moins pauvrement nourri, se faire mendiant pour le pauvre, afin de donner au pauvre du pain, un foyer, un abri; et avec quel oubli de soi, mais en même temps avec quelle bonne grâce d'esprit et quelle confiance joyeuse ! C'était le millionnaire d'autrefois ; il avait lui-même tout donné : "Oh! disait-il un jour, on voudrait pouvoir se ruiner deux fois, mais n'a pas deux fortunes qui veut !" Il est en FRance, il est en Angletrre, en Ecosse, en Irlande ; il est en Amérique, en Algérie, en Espagne, en Italie... "On se vendrait soi-même pour une telle charité !" s'écrie-t-il dans une lettre. Et de vrai, il est lié ; la chaîne qu'il traînera à perpétuité est la chaîne des dettes; mais avec elle il porte un confiance en Dieu qui lui donne des ailes" (idem Préface). "Je sais en qui j'ai cru", aimait-il à redire, et de fait, Dieu ne lui fit jamais défaut.
Aux premiers jours de septembre 1861, après une dernière course à Rome, le Père Lelièvre prend la route de Londres. Il y trouve huit Petites Sœurs et vingt-cinq vieillards. " La maison de Southwark va recevoir un notable agrandissement, écrit-il le 16, et c'est à cela que je travaille ici. Faites prier à cette fin, car c'est une grande oeuvre, et où je sens l’opposition du démon... J'ai besoin que la maison Bernard Frères me fasse ouvrir sur une banque de Londres un crédit montant à 50 000 francs. Je ne sais dans quelle mesure j'userai de ce crédit, mais il est certain qu'une partie du moins me sera nécessaire". Le compte était ouvert, il ne se fermera plus...
La première de ses neuf fondations sera pour le diocèse de Westminster, celui du Cardinal Wiseman. Manning, son condisciple à Rome, connaissait et aimait nos maisons de France. Très apprécié de son archevêque, "sa bienveillance toute particulière fut pour les Petites Sœurs l'appui le plus ferme et la sauvegarde la lus sûre".
Le Père Lelièvre se partage entre ces deux maisons où, écrit-il, "la pauvreté est extrême. Je crois que nous avons poussé la confiance en Dieu jusqu'à ses dernières limites. Mais que le bien à faire est grand ici!" Et peu après Noël : "Nous avons eu dans nos deux maisons de Londres une fête de Christmas charmante. Les pauvres pleuraient de joie, eux qui ont souvent pleuré de peine; et leurs larmes étaient une prière pour nous".
Extrait de la fondation de Birmingham, 1867
Tempête anticatholique, la bourgeoisie sectaire décide de couper les vivres aux Petites Sœurs. Le grand club de la ville leur abandonnait jusqu'alors l'abondante desserte de son restaurant : presque la moitié des repas de la maison ! On signifia aux Petites Sœurs de n'avoir plus à y compter... Que devenir ? On prit peur autour d'elles. "Vos vieux vont-ils mourir de faim, ou allez-vous faire un miracle ?" demanda au Père Lelièvre le vicaire général du diocèse. "Le miracle est fait, répondit-il, mais par un plus grand thaumaturge que moi." Et voici ce qu'il rapporta :
"Le même jour où le club se fermait pour nous, un nouvel hôtel s'ouvrait à Birmingham. C'est le vaste hôtel bâti par le Great Western et qui ressemble à ces châteaux forts dont les seigneurs florentins faisaient leurs palais. Ceux qui le tiennent sont deux protestants, mari et femme. La femme lit les revues ; et dans une de ses lectures elle a rencontré les Petites Sœurs. On les rencontre partout, cet hiver, dans le Good Words, dans le Churchman, Companion, et le Mac Millan Magasine. Ayant lu l'article, la femme dit à son mai : "Si nous obtenions le grand hôtel, les restes de nos tables seront pour les Petites Sœurs. L'hôtel fut obtenu. Les Petites Sœurs qu'on venait de chasser du club se présentèrent donc à la porte de l'hôtel : "Ma femme, crie le mari, dès qu'il les aperçoit, ma femme, voilà tes amies !" La dame descend : "Mes Petites Sœurs, merci ! Si vous n'étiez pas venues, je serais allée vous quérir. Tous nos restes seront pour vous." De cette sorte le club est remplacé au double. Er il le fallait bien, car le nombre des pauvres a doublé."
Près de quatre ans après son départ manqué pour l'Espagne (février 1873), le Père Lelièvre se voit confier à nouveau ce vaste champ d'action. Mission plus actuelle que jamais ! Les répercussions de la guerre civile affectent le nord, le centre et le littoral, une crise financière pèse sur le pays entier. La pauvreté est grande. C'est dans ce contexte que le missionnaire part vers les quatorze maisons de Petites Sœurs établies entre 1863 et 1875, depuis Barcelone jusqu'à l'Andalousie. Ces maisons sont en souffrance... Il ira les soulager et assurer le transfert de la maison de Salamanque, l’agrandissement de celles de Reus, Grenade et Madrid. A ce programme, s'ajoute la mise en route de sept fondations, attendues et promises.
Il ne connait ni le pays ni la langue, sauf les bribes "d'un espagnol peu ecclésiastique que Don Quichotte lui avait laissé dans la mémoire". Fort de sa foi, il part cependant. "Je sais, dit-il, que je sers un Maître auprès de qui la volonté d'un cœur sincère fait plus que les talents. Mon ignorance compte sur sa science, ma pauvreté sur sa richesse, ma faiblesse sur sa force. Et je sais d'une manière très positive que, de tous les calculs que je puis faire, le plus sage est de m'abandonner à Lui".
Il secondera si bien l'oeuvre de Dieu qu'à la fin de sa mission en Espagne - elle durera jusqu'au printemps de 1887, en séjours successifs - c'est non plus quatorze, pas seulement vingt et une comme prévu au départ, mais plus du double de maisons que compteront les Petites Sœurs dans ce pays.
Ses premières visites, en novembre 1876, sont pour la Catalogne : Barcelone, sa capitale, puis Reus, Manrèse, Lérida, Tarragone.
Soixante vieillards, c'est tout l'effectif que peut recevoir Barcelone, première des fondations d'Espagne. "Qu'était-ce pour la population d'une ville... de 800000 habitants, qui fait songer à Lyon par son industrie, à Marseille par ses vaisseaux et son cosmopolitisme bigarré et mouvant ?", écrit le Père Ernest. Il ne peut se contenter ni d'une maison si petite ni d'une unique maison. Quatre ans plus tard, une ancienne teinturerie acquise dans le quartier de Gracia accueillera une centaine de vieillards. "On fait queue à la porte pour y entrer, comme au guichet du chemin de fer de Versailles, un jour de Grandes Eaux!".
Le Père Ernest écrit "le vieux pauvre est admirable. Sa tête touche ses genoux; il est dans tout son corps une image vivante de la décrépitude ; mais l'âme est restée verte, dans cette perpétuelle jeunesse qui est celle des amis de Dieu. Ne vivant que pour la piété, notre bonhomme est, chaque matin, à cinq heures, à la chapelle. Un aveugle de naissance lui donne le bras. Ils restent là tous les deux jusqu'au déjeuner. Je ne sais pas si, dans le reste du jour, il font autre chose que prier. C'est leur usage, dans la maison, de réciter chaque jour à haute voix le rosaire entier ; à quoi ils ajoutent quelques petits chapelets en leur particulier. J'avais oublié de vous dire que mon bonhomme a près de quatre-vingt-quinze ans ! Il communie chaque fois que les Sœurs communient, ce qui n'est pas pour le prêtre une opération facile, cette vieille tête n'ayant plus la force de se relever !"
Brooklyn, Cincinnati, Baltimore, New-Orléans, Saint-Louis, Philadelphie, Louisville : c'étaient donc sept maisons qu'en un an et demi, Lelièvre avait fondées dans les Etat-Unis. Au mois d'octobre de cette année 1869, il était allé à Washington où il s'était entretenu, sur l'état du pays et des intérêts religieux, avec les représentants les plus autorisés de l'esprit catholique et national. L’Amérique, esprit et cœur, le possédait de plus en plus.
"L'oeuvre des Petites Sœurs réussit ici au-delà de tout ce que j'attendais, écrivait Lelièvre à son cousin Henri Bernard, quelques semaines avant de quitter l'Amérique pour la France. Les treize maisons fondées sur ce continent sont aujourd'hui propriétaires des établissements qu'elle occupent, ou de terrains sur lesquels elles bâtiront ce qui leur est nécessaire. Si je disais le chiffre général de mes paiements depuis trois ans, on ne me croirait pas. Un tel succès et tout ce qu'il exige sont choses accablantes, je l'avoue. Je m'étonne de n'être pas tué, mais je sens la fatigue".
Le Père Lelièvre avait le don de camper en quelques lignes tel ou tel vieillard, tel ou tel bienfaiteur. Voici Mme Marguerite, la plus étonnante des boulangères !
La Boulangère de la Nouvelle-Orléans
"Au premier abord, vous ne devineriez pas la Marguerite irlandaise. Quand vous arrivez en face de ce monument immense, à quatre étages, au fronton duquel de grandes lettres sculptées en bosse font ressortir ce seul nom : Margaret ! vous vous dites, à l'américaine : Voilà qui a coûté au moins 150000 dollars ! Vous entrez. Sur le seuil, vous apparaît une petite grosse femme, point belle, point jeune, vêtue d'une petite cotonnade, la tête enveloppée de même, les deux mains dans les poches de son tablier de tiretaine - Je voudrais parler à Mme Marguerite - C'est moi, Monsieur ! Et en effet, c'est elle; elle qui commande à deux cents ouvriers, qui fait chaque année du pain, des gâteaux et des biscuits pour des millions de dollars, et dont trente fourgons portent les produits à la ville et aux vaisseaux du port. Mais c'est aussi la Marguerite qui est en tête de toutes les souscriptions pour les bonnes œuvres, qui nourrit à ses frais deux cents enfants de l'orphelinat, et la moitié des pauvres de l'Asile des Petites Sœurs des Pauvres, etc. etc. Je vous la donne pour la meilleure et la plus étonnante des boulangers et boulangères qui aient mis la main à la pâte, depuis le jour où le roi Pharaon fit pendre le sien pour servir d'exemple à tous les autres."
La petite mercière de Brooklyn
"Tous les habitants du quartier ont connu Sarah Reilly, la petite mercière octogénaire du coin de la trente-neuvième rue et de la huitième avenue de Brooklyn. Les passants étaient habitués de mémoire d'homme à l'y voir tout le jour, le corps courbé, la face ridée, assise sur une vieille chaise, devant sa petite table, débitant là ses brosses, ses lacets, ses cordons, ses bas, ses pelotons de fil et ses paquets d'épingles. Un jour, septembre 1871, Sarah, fidèle à son poste, venait de faire son déballage quand, se sentant prise de malaise, elle replie ce qu'elle avait déplié, regagne péniblement son logis, pour aller dire son mal et ses dernières volontés au curé et à sa servante son amie. C'est était fait : l'encoignure de la trente-neuvième était désormais et pour jamais privée de son principal ornement ; on n'y devait plus revoir la mercerie et la mercière. Faute d'un lit disponible chez les Petites Sœurs , le curé plaça Sarah dans un hospice catholique, de l'autre côté de l'eau. La mort y entra aussitôt sur ses talons ; au bout de huit jours, elle se coucha sans son cercueil. Mais la servante du curé était dépositaire de son testament et de sa petite fortune. Tous les effets de corps, marchandises et meubles meublants de la défunte étaient donnés aux Petites Sœurs des Pauvres, avec 150 dollars pour leur établissement. C'était tout son bien. Que de belles âme parmi ces commerçants en plein vent ! Je prononce que la fin de Sarah ne fut point misérable."
Des vieillards de Brookyns
"A quatre-vingt-seize ans, Patrick fut pris d'une attaque d'apoplexie; le voilà debout, il est frais. John, qui se promène à côté de lui, est un autre octogénaire qui s'est vu aux portes du tombeau. La vieille Mary O'Gara dépasse quatre-vingt-sept ans. Blanchard maintenant chante et fume, en fabriquant un beau meuble pour la pharmacie. Tel vieux petit bonhomme de Brooklyn usé, brisé, paralysé, miné, fiévreux, demi-aveugle, demi-muet, demi-mort, emploie ce qui lui reste de vie à louer Dieu. Comment ne seraient-ils pas joyeux ? Pour eux, nul compte à rendre de la richesse, ils n'en eurent jamais ; ni de la paresse, ils ont peiné du matin jusqu'au soir. Nul faste, nulle ostentation. Il ont terminé une vie très simple par une siante mort. Comment Jésus ne leur ferait-il pas miséricorde ? Petit et pauvre est l'appareil de leur enterrement; après eux peu de regrets et point d'argent. Qu’importe, pourvu qu'ils soient sortis de ce monde par la même porte que Lazare, et qu'ils occupent une place à ses côtés ?
Lelièvre avait vu mourir, à Brooklyn, la bonne vieille Paggy : "Jusqu'à son dernier soupir, elle a parlé, parlé, parlé ! Elle est morte gaiement, plaisamment, et sans le moindre chagrin de quitter ce monde. On l'a mise dans un fort beau cercueil. Quatre vieilles, huchées dans un beau carrosse l'ont accompagnées, en riant, jusqu'au cimetière. Elle pesait soixante livres. Le croque-morts riaient en la portant. Ainsi finissent quatre-vingt-cinq années de misère. Il n'est tel que d'avoir été pauvre toute sa vie pour mourir agréablement. Mais il y avait chez Paggy autre chose : elle croyait, elle aimait Dieu, elle espérait le posséder, elle savait qu'elle s'en allait vers le ciel ; son bavardage était tout plein du désir de l'éternité. Si Lazare était aussi pénétré de cette espérance quand il languissait à la porte du riche, je ne le plains pas."
"Jamais pauvre plus reconnaissant que celui qui fut reçu avant-hier à Brooklyn, dit une lettre du 15 novembre 1868, jamais pauvre plus certain d'un fin prochaine si notre Asile ne s'était ouvert à lui ! Il vint portant sous son bras trois ou quatre vieilles hardes ; et à la main une lettre du P. Lafont, qui le fit admettre immédiatement : "Je suis content d'une chose, dit-il à la Bonne Mère, je ne dois rien à personne." Il se contenta donc de peu à son repas ; et ce peu qu'il prit le fit tellement souffrir que, tout hier, nous avons douté qu'il pût se refaire. Un tremblement nerveux lui secouait tout le corps. Mais cela ne l'empêchait pas de remercier Dieu d'une voix entrecoupée, pour la grâce qui lui était faite d'être admis chez nous. "J'ai combattu pour le Sud, expliqua-t-il ensuite. J'ai été fait prisonnier ; on m'a gardé longtemps ; la prison était humide. J'y ai contacté la maladie dont je souffre. Avec cela, j'ai soixante et un ans. Aucun établissement public ne peut me recevoir ; mes rhumatismes ne me permettent plus de travailler. Il me fallait cependant trouver 25 sous pour ma couchette de chaque nuit dans une chambre commune. Quelle vie!" Ce matin, tout faible qu'il fût, il se leva pour assister à la messe. On l'avait habillé du même petit paletot que vous m'envoyez à Londres, il y a quelque trois ou quatre ans, et qui a un peu roussi, mais sans se défigurer, tant l'étoffe en était bonne ! Le voilà maintenant passé de mes épaules sur celles d'un compatriote, car notre vétéran est Français. Paris lui a donné le jour, et son nom est Jean Breton. Il s'exprime en bons termes, avec le bel accent, et de la politesse dans les manières ; on dit qu'il sait un peu de latin appris chez les Picpussiens. Lui-même déclare qu'il a toujours dit ses prières. Ce dernier point lui a plus servi que son latin. Dieu l'a exaucé au moment où il allait expirer sur le pavé de New-York, en l'adressant à une française connu du P. Lafont, aumônier des Sœurs, qui lui fit attribuer la dernière place que notre maison pût donner."
"J'ai donc vu le Saint-Père, écrit-il en mai et plus tard, novembre 1878. Sa Sainteté (Léon XIII) a daigné me recevoir deux fois, dont une toute une demi-heure dans son cabinet. il m'a été facile de reconnaître en lui les dons extraordinaires de l'esprit et du cœur par lesquels Dieu l'a rendu capable de gouverner son Eglise." Dans cette double audience, le Pape tendait l'oreille à tout ce que Lelièvre lui disait des merveilles opérées par la charité française. Il levait les bras. A deux reprises il exclama : "Charité héroïque ! Vraiment héroïque !" Il eût voulu tout de suite avoir les Petites Sœurs à Rome.
Un second et un troisième séjour en Italie, 1879, 1880, mirent Lelièvre aux prises avec la très laborieuse fondation de Rome. L'ardent désir du Pape allait être exaucé. (...)
Dans les lettres de Lelièvre, les Petites Sœurs apparaissent à Rome aux derniers jours d'octobre 1879. On les y découvre dans l'ancien collège Bandinelli, capable tout au plus de recevoir 50 vieillards.
Mais qu'était-ce qu'une cinquantaine de pauvres là où il y en a tant ? L'heure vint, là comme partout, d'acheter, de bâtir. Ce fut pour Lelièvre l'heure des longues épreuves.
Tableaux de James Collinson (1825-1881)
Découvert fortuitement en 1973 chez un antiquaire de Carlisle, Angleterre, ce tableau a été transporté peu après à La Tour St Joseph. Cette toile est due à James Collinson, peintre anglais appartenant à l'école des "Préraphaélites", apparue en Angleterre en 1848 et caractérisée par son souci des détails et la perfection de leur réalisation. Collinson a poussé la véracité jusqu'à inscrire sur l'enveloppe tombée à terre le nom et l'adresse de la vieille femme aveugle, Mary Jayes. Le livre des inscriptions de la première fondation londonienne note que Mary Hayes, entrée le 15 janvier 1868, y est décédée le 9 octobre 1869. On peut donc dater le tableau : 1869-1869, car selon les spécialistes il faut près de deux ans pour peindre une toile de cette dimension. Autre détail probant : le bâtiment vu à travers la fenêtre est parfaitement identifiable : il s'agit de notre maison de Portobelle Road, fondée en 1851.
Il existe, ou il existait - car sa trace est introuvable malgré les multiples recherches faites, - un autre tableau représentant les Petites Sœurs servant les messieurs un jour de fête. Nous n'avons pas de renseignements précis sur les circonstances de la réalisation de ces deux tableaux. Une lettre du Père Lelièvre, écrite de La Tour le 15 juin 1875 à son ami d'Amiens, Louis Marest, donne une indication très intéressante sur ces tableaux.
"Cherchez un homme qui est debout et qui sert le pain... Cet homme, c'est Richard" (Richard Bentley qui vient de mourir après 14 ans passés chez les Petites Sœurs).
"Dès qu'il y eut dans la maison une infirmerie et des malades (...), il sollicita et il obtint le poste d'assistant de la sœur infirmière. C'est un emploi qu'il a rempli jusqu'au mois de mai dernier, avec toute l'exactitude, tout le zèle, toute la patience qu'y peut mettre la sœur la plus dévouée. Il couchait au milieu de ses malades, était à leur service la nuit comme le jour, n'a jamais montré qu'un visage de bonne humeur et de contentement (... Je ne crois pas que pendant tout le temps que je l'ai connu, il ait perdu, un quart d'heure durant, la pensée de la présence de Dieu (...) On dit que ses derniers instants ont été ceux d'un saint ! Je le crois bien. (...)
James Collinson passa en 1850 de l'anglicanisme au catholicisme et qu'il connut dans sa vie bien des difficultés et éprouves. En 1858, il épousa Eliza Wheeler; leur seul enfant, Robert, devint prêtre catholique.
Voici le fait qui s'était passé à la maison de Baeza, en Espagne. Le Père Lelièvre, qui tient pour surnaturel, l'a rédigé sur grand format, en grands caractères, à part de sa correspondance, comme une déposition solennelle et authentique, la quelle devra demeurer ad perpetuam rei memoriam.
"Vers le commencement de 1883, les Petites Sœurs de Baeza reçurent dans leur maison un vieillard âgé de quatre-vingt-trois ans, appartenant par sa naissance à une bourgade voisine, et dont toute la vie avait été exemplaire. Pris, peu de temps après son entrée, d'une fluxion de poitrine des plus aiguës, il se vit réduit au bout de quelques jours à toute extrémité. Comme le médecin ne donnait plus aucune espérance, la bonne Mère s'en émut. Se tournant vers la Sœur qui faisait le service des hommes - une douzaine en tout dans la maison - elle lui donna ainsi ses ordres: "Il ne faut pas du tout que vous laissiez mourir celui-là. C'est le premier que nous recevons de son village, où une mort si prompte arrivée chez nous ferait le plus mauvais effet!" La Sœur ainsi haranguée, commandée, n'hésite pas; elle va droit au moribond, et lui dit expressément qu'il ne faut pas qu'il meure, qu'il faut qu'il demande à saint Joseph d'être délivré de sa toux; d'autant plus, ajoute-t-elle, que cette grosse toux trouble le sommeil de ses voisins. Cela dit, elle se met elle-même à prier, et le vieillard admonesté et dûment averti en fait autant.
"C'était le soir, la toux et les autres symptômes alarmants durèrent jusque vers minuit. A minuit, cette toux disparut: Le malade s'endormit. Quand il se réveilla, vers l'heure du déjeuner, il était guéri. Que s'était-il passé? Voici à cet égard, l'explication du bonhomme: "Saint Joseph, dit-il, m'est apparu. Il s'est assis à côté de moi, sur mon lit; il a mis la main sur ma poitrine. A l'instant même, je me suis senti soulagé. Il était encore près de moi quand je me suis endormi." Il ajouta: "Le matin, à mon réveil, j'ai revu saint Joseph près de moi. Je l'ai d'abord remercié; et, comme on servait le déjeuner, je lui ai dit: "Bon saint Joseph, voulez-vous déjeuner avec nous ?" Il m'a répondu : "Je ne puis pas; la nourriture que je prends n'est pas la même que vous mangez". Et, sur ces paroles, il disparut".
Lelièvre termine ainsi: "Tel est le récit que j'ai recueilli des lèvres du vieillard, un mois environ arpès l'événement. Sa tête est des plus lucides; il n'a jamais varié dans ses explications. La maison entière atteste que la guérison a été soudaine, elle est parfaite. La foi du bonhomme, sa gratitude, sa piété répondent à la grâce dont il a été l'objet."
Les personnes qui obtiennent des grâces par l'intercession du Père Ernest Lelièvre sont invitées à écrire à la
Maison-Mère des Petites Sœurs des Pauvres,
3 La Tour St Joseph-35190 Saint Pern
ou
Par mail
Sources :
- Ernest Lelievre et les fondations des Petites Sœurs des Pauvres d’après sa correspondance, 1826-1889, Mgr Louis Baunard, 503 pages, CH.Poussielgue, 1906.
- Ernest Lelièvre, livret commémoratif, Petites Sœurs des Pauvres, 80 pages, 1989.