Homélie de Mgr Emile Marcus, pour le jour de Pâques
Victimae paschali laudes... La liturgie de Pâques est riche de ce poème d'un auteur incertain de l'an 1000, dont la mélodie grégorienne est un des sommets de l'art religieux chrétien.
Une strophe de ce poème nous remet devant l’événement pascal dans ce qu'il a d'essentiel:
Mort et vie se sont affrontés en un duel prodigieux. Le Maître de la vie est mort. Vivant il règne.
II ne faut pas oublier cet aspect de la fête de Pâques: elle célèbre l'issue d'un combat, le combat le plus quotidien et le plus inéluctable de tous, celui de la mort et de la vie. N'y pas penser serait réduire Pâques à une vague fête printanière. Toute la vie de Jésus fut un terrible combat. Au mont des Oliviers il en a vécu le paroxysme à un degré que nul ne peut imaginer. Le fait que son Père devait le délivrer de la mort ne nous permet aucunement d'imaginer qu'il ait échappé, si peu que ce soit, à l'âpreté de son agonie.
Baptisés en Jésus-Christ, dans sa mort, "passés par la mort avec le Christ" (Rm 6,8) il nous reste à entrer dans son combat, mais en quelque sorte dans le mouvement inverse de ce qu'il a vécu: en bénéficiant des effets de sa Résurrection. Il a remporté la victoire dont nous sommes appelés à vivre les conséquences. "Pensez que vous êtes morts au péché, et vivants pour Dieu en Jésus Christ" nous dit l'apôtre Paul. "Puisque nous sommes morts au péché, comment pourrions-nous vivre encore dans le péché?" (Rm 6,2).
Où en sommes-nous de ce combat? En un sens, il ne connaît pas de cesse. Mort et vie continuent de s'affronter en un duel prodigieux.
Le mal déferle en toutes sortes de violences et d’infamies: guerres impitoyables et massacres, menaces des armes chimiques et nucléaires, répressions violentes et tortures, injustices criantes, famine et simultanément destruction de stocks de vivres, discriminations raciales ou religieuses, avortement banalisé, manque du plus élémentaire respect envers les enfants, et tant d'autres choses "par action et par omission". Et avec tout cela, qui osera le nier, en chacun d'entre nous, des complicités plus ou moins subtiles.
Le "duel prodigieux" de la mort et de la vie a trouvé son issue définitive dans la victoire du Christ, en un moment de l'histoire, mais il se poursuit dans un fracas fantastique, tout au long de l'histoire. Et le lieu de ce combat, finalement, c'est le cœur de chaque homme. Il se joue dans la solitude de la prière comme dans la mêlée quotidienne des affaires de ce monde.
Ce "duel prodigieux" nul ne peut s'en dégager. Il est inutile de rêver une vie où l’on en serait dispensé. Impossible de se mettre sur la touche et de dire: j'abandonne à d'autres le combat de la mort et de la vie. Il n'y a pas non plus de retraite pour ce combat. Chacun doit y tenir sa place jusqu'au dernier jour de sa vie et l'humanité devra le soutenir jusqu'au terme de l’histoire.
Où en sommes-nous de ce combat? La pire des capitulations serait de désespérer de l’issue favorable du combat de la mort et de la vie.
Il nous faut ici énoncer un paradoxe fondamental de la vie chrétienne: ce combat se prolonge tout en étant déjà gagné ! En un sens rien n'est joué car c'est en nous que le Christ doit triompher des forces de mort qui nous entraînent au péché. Mais en même temps, il est gagné, ce combat, en raison de la victoire Pascale du Christ. Il a dit en effet, à propos de la mort qu'il allait subir: "Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes" (Jn 12,32).
Nous sommes trop petits pour nous sauver tout seul; et nous sommes trop grands pour qu'il nous sauve sans nous.
Où en sommes-nous de ce combat? L'arme dont nous disposons n'est autre que la foi. La victoire du Ressuscité, c'est celle qu'il remporte dans nos cœurs, par la foi.
Je vous invite en cette fête de Pâques 2019 à graver dans vos mémoires les paroles de saint Jean que nous offre la liturgie. Celles-ci : "La victoire qui a vaincu le monde, c'est notre foi". "Qui est vainqueur du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu?" (Jn 5,4-5).
Le disciple qui donne sa foi est envahi par la puissance du Ressuscité. Dieu lui donne sans cesse un cœur capable d'aimer. Il peut trembler devant les malheurs qui l'accablent, tout au fond de lui-même il se sait plus grand que ce qui l'écrase. Il tisse avec son entourage les mailles de la communion que notre Père du ciel veut voir grandir. S'il n'y parvient pas il continue d'agir en ce sens. Il ne renonce jamais à chercher des sentiers de vie.
Nous participons à la victoire du Ressuscité en lui donnant notre foi. Qu'elle grandisse en ce temps de Pâques! Qu'elle ouvre nos yeux; qu'elle nous permette de reconnaître le Ressuscité à travers le signe du Pain et de la Coupe. Qu'elle fasse notre bonheur!
Écoutez encore cette hymne à la louange du Christ qui fait triompher la vie :
O Christ qui admirais les lys des champs et les oiseaux du ciel,
0 Christ venu nous indiquer le chemin d'un monde encore
caché à nos yeux, où resplendit la Gloire de Dieu.
O Christ à l'amitié si simple et pure,
et qui pardonnes nos trahisons.
O Christ l'unique bien-aimé du Père
qui deviens l'aîné d'une multitude de frères.
O Christ, Fils unique de Dieu, splendeur du Père,
devenu l'un de nous pour combattre la mort "en un duel prodigieux".
O Christ du Vendredi Saint et de Pâques, viens remporter en nous ta Victoire sur la mort !
+ Émile MARCUS Archevêque émérite de Toulouse