Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la laïcité et les relations entre l’Etat et les religions, à Rome, le 10 octobre 2009.
Personnalité, fonction : FILLON François. France. Premier ministre
Circonstances : Veille des cérémonies de canonisation de Jeanne Jugan, à la Villa Bonaparte, à Rome le 10 octobre 2009
Messieurs les Cardinaux, Messieurs les parlementaires, Excellences, Ma mère, Messieurs les présidents, Monsieur l’ambassadeur, Mesdames et messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir ce soir, à la Villa Bonaparte, à la veille des cérémonies de canonisation de Jeanne Jugan.
Je remercie les Cardinaux français de la curie romaine de leur présence : le Cardinal Roger Etchegaray, le Cardinal Paul Poupard, le Cardinal Jean-Louis Tauran, le Cardinal Albert Vanhoye. Chacun à votre manière, vous marquez profondément la Rome pontificale et vous me permettrez de penser et de dire que vous contribuez au rayonnement de la présence française au Saint-Siège. J’en profite pour souligner combien le rôle exercé auprès du Saint-Père par monseigneur Mamberti est une source de fierté pour notre pays.
Je me félicite également que Monseigneur Brugues assume la tâche délicate de secrétaire de la congrégation de l’Education catholique.
Je suis également sensible à la présence du Cardinal Bernard Panafieu, du Cardinal Jean-Pierre Ricard, du Cardinal André Vingt- Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des Evêques de France, qui est pour moi un interlocuteur vigilant, dans le cadre de l’instance de dialogue Eglise/Etat.
Je n’oublie pas les évêques de l’Ouest et notamment la Bretagne ainsi que ses élus. Cette terre de Bretagne était chère à Jeanne Jugan. Elle l’a parcourue de sentiers en villages pour y fonder les premières maisons de la Congrégation. Sa personnalité exceptionnelle, son rayonnement et l’oeuvre qu’elle a accomplie en fidélité à son nom inspirent un hommage universel.
Il y a un contraste saisissant entre la modestie des débuts, un soir de l’hiver 1839 où Jeanne Jugan accueille, seule, une vieille femme aveugle et à demi paralysée, et le développement que l’on connaît aujourd’hui de l’oeuvre des Petites soeurs des pauvres à travers le monde. Dans plus de 32 pays, sur tous les continents, 2 700 petites soeurs se dévouent au service des personnes âgées les plus pauvres et des laissés pour compte.
La vie de Jeanne Jugan a été consacrée à la plus belle et à la plus simple des vérités, celle qui nous commande d’aller vers ceux qui souffrent, de les accueillir et de leur consacrer tous nos soins.
Dans la dernière encyclique, «L’amour dans la vérité», l’être humain – il est écrit – est fait pour le don; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension transcendante. Je salue la présence parmi nous de Soeur Céline de la Visitation, supérieure générale de la Congrégation et de ses consoeurs, qui perpétuent cette oeuvre inestimable, fondée précisément sur ce don de soi.
Jeanne Jugan va rejoindre la longue liste des saints et des saintes qui ont jalonné l’histoire de France : de saint-Bernard de Clairvaux à sainte Bernadette de Lourdes, de saint Vincent de Paul à sainte Thérèse de Lisieux. Cette canonisation intervient au cours d’une année sacerdotale consacrée à un autre saint français, saint Jean Marie Vianney.
Le Saint curé d’Ars et Jeanne Jugan viennent au fond chacun à leur façon, illustrer la richesse de l’Eglise de France, la place qu’elle occupe dans la société française, mais aussi l’importance que le Pape Benoît XVI accorde à notre pays.
Les mérites spirituels de ces figures que l’Eglise a tenu à distinguer font partie d’une tradition française humaniste, et d’une aspiration à l’universel profondément ancrée dans notre histoire commune.
Cette tradition me paraît être l’un des éléments sur lequel doit s’appuyer une laïcité sereine.
Notre monde contemporain est en quête de sens et d’éthique.
Les forces du progrès se disputent avec celles de la destruction; les richesses immenses côtoient l’extrême dénuement; le matérialisme assèche les idéaux; le scepticisme ruine les espérances intimes.
La crise que nous traversons n’est pas seulement la crise d’un système financier, elle est aussi le miroir de notre société.
Cette crise révèle les failles d’un capitalisme qui ne doit pas être sans foi ni loi. Et à cet égard, la doctrine sociale de l’Eglise constitue une source de réflexion.
Cette crise révèle aussi la mise en péril d’un certain nombre de valeurs : celles de la responsabilité, celle de la probité, celle de la solidarité.
Notre humanité ne peut pas se résoudre à cette course insensée et chaotique.
Que sera le XXIème siècle ?
Qui croire ? Que croire ? Et que faire ?
Cette question, ces questions nous sont naturellement posées à nous, responsables publics. Et face à ces interrogations fondamentales, notre dialogue avec les Eglises ne peut être que fécond.
En mettant en garde notre civilisation sur ses faiblesses matérialistes, ses pulsions guerrières, ses fanatismes, vous approfondissez notre regard sur la condition humaine, sur ses devoirs éthiques, sur sa fragilité et sur son mystère.
C’est la République – celle des croyants de toutes confessions, mais aussi la République de ceux qui doutent, de ceux qui cherchent, de ceux qui ne croient pas – qui est ainsi invitée à une méditation collective.
Et cette méditation qui nous grandit est à l’image d’une laïcité ouverte et réfléchie.
Je crois aux échanges empreints de respect qu’État et religion peuvent conduire sur le seuil, porte ouverte. Face aux crispations identitaires qui traversent nos sociétés contemporaines, cette laïcité française est précieuse.
Elle est tissée de liberté, elle est tramée de considération mutuelle et d’écoute. Elle dure, parce qu’elle est fondée sur le respect et parce qu’elle a la souplesse qu’engendrent les vrais dialogues.
Depuis 2002, une rencontre annuelle entre le Premier ministre et les autorités de l’Eglise catholique de France a été instituée.
C’est un lieu de coopération, c’est un lieu de dialogue.
Nous devons le préserver en nous gardant de deux écueils: en faire une enceinte technocratique qui occulterait la richesse et la spontanéité du dialogue, ou au contraire la cantonner à une approche trop intellectuelle qui s’éloignerait progressivement des préoccupations quotidiennes de l’Eglise en France.
Mesdames et messieurs,
Je vous demande de bien vouloir lever avec moi votre verre en mémoire de la Bienheureuse Jeanne Jugan, en l’honneur de Sa Sainteté Benoît XVI, qui l’inscrira demain au nombre des Saints, et à l’oeuvre accomplie à travers le monde par les Petites sœurs des pauvres !