HOMÉLIE A L’OCCASION DE LA CANONISATION DE JEANNE JUGAN
Rome, Basilique du Latran, 13 octobre 2009
Homélie du Cardinal Angelo Sodano, Doyen du Collège Cardinalice
Un chef d’œuvre de la grâce
Vénérés Confrères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce, Chères Petites Sœurs des Pauvres, Frères et Sœurs dans le Seigneur !
Une hymne d’action de grâce au Seigneur est montée dimanche dernier de la Place Saint Pierre, de la part d’une multitude de fidèles, en voyant élevée à l’honneur des autels la remarquable figure de Mère Jeanne Jugan, Mère Marie de la Croix.
Cent trente années se sont écoulées depuis ce lointain 29 août de l’année 1879, où l’ange du Seigneur passa par l’humble maison de La Tour St Joseph et l’invita à partir pour la rencontre définitive avec le Seigneur.
Ainsi se terminait, à l’âge de 86 ans, une vie toute consacrée à ses frères les plus pauvres et les plus abandonnés, une vie qui, aujourd’hui encore, nous surprend par une symphonie de vertus évangéliques, telles que son grand amour du Christ et de ses frères les plus pauvres, la simplicité de vie, l’humilité profonde jointe à une continuelle joie intérieure, dans le sillage de la plus authentique sainteté chrétienne.
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La flamme de l’amour
Dans l’ambiance profondément religieuse de la Bretagne, notre Sainte se forma aux grand idéaux chrétiens, jusqu’à pouvoir dire à sa mère, après une grande « mission » prêchée dans sa ville de Cancale : « Dieu me veut pour lui ». Puis, le Seigneur lui a fait connaître, peu à peu, sa volonté, la volonté qu’elle le serve dans les plus pauvres et les plus souffrants de son terroir natal. Le Seigneur l’amena ainsi à fonder une nouvelle famille religieuse au service de ses frères les plus abandonnés. L’histoire de cette Congrégation méritante vous est bien connue. Je voudrais évoquer la joie qu’eut notre Mère quand elle vit les Constitutions de cette nouvelle Famille religieuse reconnues par le Pape Léon XIII ; puis, lorsque lui parvenaient, peu à peu, les nouvelles du bien que ses « Petites Filles » opéraient au service des pauvres.
Malheureusement, comme cela arrive parfois dans la vie de tant de saints, sa grandeur n’a été découverte qu’après sa mort. C’est alors que sa personnalité héroïque fut définitivement mise en lumière.
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La glorification de la Mère
C’est ainsi que commença la longue « procédure » de sa Cause de Béatification, qui s’acheva en 1982, lorsque le Pape Jean-Paul II la déclara Bienheureuse.
Je me souviens que j’étais également présent dans la Basilique Saint Pierre, en ce mémorable dimanche 3 octobre 1982, et je dois vous dire que j’ai été immédiatement conquis par cette figure héroïque de Sainte des temps modernes.
En réalité, je l’avais déjà partiellement connue en lisant sa biographie, écrite par le vénéré Cardinal Gabriel-Marie Garrone. Cependant, je fus touché par les paroles du regretté Pape Jean-Paul II qui, chantant les louanges de la nouvelle Bienheureuse, fit surtout ressortir son humilité, jusqu’à dire, parlant en français : « La lecture attentive de la Positio sur les vertus de Jeanne Jugan, comme les récentes biographies consacrées à sa personne et à son épopée de charité évangélique, m’inclinent à dire que Dieu ne pouvait glorifier plus humble servante »(cf. Insegnamenti di Giovanni Paolo II, 1982, page 662 – Éditions Vaticanes 1983). Oui, Dieu ne pouvait glorifier plus humble servante que Jeanne Jugan !
Puis, dimanche dernier, nous avons écouté les nobles paroles avec lesquelles le Pape Benoît XVI nous a décrit la figure de notre Sainte, nous rappelant la grande actualité de son message évangélique.
Aujourd’hui, nous sommes ici, réunis autour de l’autel du Seigneur pour le remercier, une fois de plus, d’avoir suscité dans sa Sainte Église ce chef d’œuvre de grâce, que fut la vie de cette extraordinaire fille de l’humble terre de Cancale.
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Le message de la Sainte
Frères et Sœurs dans le Seigneur, la liturgie d’aujourd’hui nous a invités à méditer sur quelques passages de la Parole de Dieu qui ont illuminé le chemin de notre Sainte.
Dans la première lecture nous avons écouté un texte du Prophète Isaïe qui, déjà huit siècles avant le Christ, rappelait au peuple d’Israël en quoi consistait le vrai culte à rendre à Dieu : « Ce culte ne consiste-t-il pas à partager le pain avec l’affamé, à recueillir chez soi les malheureux, les sans-abri, à vêtir celui qui est nu, sans détourner les yeux de ton semblable ? » (Is 58, 6). Combien de fois ces paroles auront-elles résonné dans le cœur de notre Mère !
Dans la seconde lecture nous avons écouté l’Apôtre Jean, qui vers la fin de sa vie écrivait aux communautés d’Asie Mineure qu’il avait fondées : « Le Seigneur a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donc donner notre vie pour nos frères… Mes enfants, nous devons aimer : non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité » (1 Jn 3, 16-18).
Enfin, dans l’Évangile a résonné le message de Jésus qui, dans son discours bien connu sur la montagne, nous décrit quelles sont les béatitudes de ceux qui veulent le suivre. Et précisément ce furent ces huit béatitudes qui inspirèrent la vie de cette humble fille de Bretagne que fut Jeanne Jugan. Que de fois ces paroles du Christ auront résonné dans son cœur : « Heureux les pauvres de cœur… Heureux les miséricordieux… Heureux les artisans de paix… Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5, 1-12).
Notre Sainte a vécu ce programme de vie tracé par Jésus et elle a expérimenté ainsi la joie promise par Jésus à ses disciples. C’est la joie du cœur, qu’elle veut aujourd’hui nous transmettre à tous, nous qui sommes réunis ici pour nous confier à son intercession. Que, du ciel, Sainte Jeanne Jugan nous obtienne de vivre comme elle, simples, humbles, miséricordieux, généreux à l’égard des pauvres et des souffrants. En effet, nous aussi, à la fin de notre vie, nous serons jugés sur l’amour.
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Conclusion
Avant de terminer, je voudrais saluer les nombreux pèlerins venus à Rome des pays de langue française et de langue anglaise. À vous, frères et sœurs qui venez de l’archidiocèse de Rennes, de France et d’autres pays, j’adresse mon salut fraternel.
Ce fut pour moi une joie de chanter avec vous une hymne d’action de grâce au Seigneur pour les merveilles opérées en Sainte Jeanne Jugan. Oui, les Saints sont les vrais chefs d’œuvre de la grâce divine, c’est pourquoi ils peuvent être des étoiles lumineuses sur notre chemin.
Que notre chère Sainte intercède pour nous et qu’elle nous accompagne dans notre pèlerinage vers la patrie céleste. Amen !