La vieille Anne Chauvin, rassasiée de misères, n'est pas partie en Belgique ou en Suisse pour mettre un terme à une interminable vieillesse. Elle a entendu des pas qui s'approchaient de son taudis, une voix chaleureuse et soudain, des bras pleins de tendresse qui l'entouraient. Dans la poitrine de celle qui l'emportait comme un trésor, elle a senti battre un cœur. Son regard éteint n'a pas pu recevoir le sourire, mais ses oreilles en ont perçu la douceur et la détermination. "Voilà, vous êtes chez vous." Même aveugle, même paralysée, elle vivra, heureuse parce qu'aimée et soignée, jusqu'au jour de Dieu, le 1er janvier 1845.
A la fin de cette année-là, la laïque Académie Française décernait le Prix Montyon à la "Demoiselle Jeanne Jugan", honorable citoyenne de Saint-Servan, pour "le mérite d'avoir beaucoup donné quoique ne possédant rien". Elle ne s'était pas présentée elle-même, bien sûr, mais ses compatriotes s'en étaient chargés, fiers de l'entreprise de charité menée par Jeanne et qui allait bientôt étendre son réseau à d'autres villes.
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Depuis que Jeanne a fermé les yeux d'Anne Chauvin, 180 ans d'hospitalité se sont écoulés, goutte-à-goutte quotidien d'attention aux plus fragiles. Bien sûr, les failles de la résistance humaine dans la souffrance nous mettent parfois devant notre impuissance. Personne ne peut juger. Mais notre vie doit dire et prouver que seul l'amour apaise, console, encourage.
La lumière de Jeanne qui a rayonné de sa personne venait du Soleil de Dieu Amour qui la traversait. Notre prière est qu'elle éclaire toujours le chemin de ceux qui se lient d'amitié avec elle. Quel que soit le vitrail de votre vie, Jeanne peut vous rejoindre, vous accompagner jusqu'au bout du chemin. C'est le souhait de ce numéro un peu spécial, peut-être plus sérieux que d'autres... Sérieux comme la vie!