Fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres
Le 11 décembre 1845, l'Académie française a décerné à Jeanne Jugan
le premier prix de vertu fondé par M. de Montyon.
Le fait est important et fournit des preuves irréfutables sur le rôle et le comportement de Jeanne Jugan
à l'origine de la congrégation des Petites Sœurs des Pauvres.
Le prix Montyon est un ensemble de prix créés à l'initiative de Jean-Baptiste Auget de Montyon et décernés par l'Académie française et par l'Académie des sciences.
Jean-Baptiste de Montyon avait fondé trois prix, tous trois appelés prix Montyon. Les deux premiers sont décernés par l'Académie française : le premier sous la dénomination de prix de vertu, était remis à des personnes méritantes, le second, prix pour l'ouvrage littéraire le plus utile aux mœurs, fut remis pour la première fois en 1782. Le troisième est un prix scientifique remis par l'Académie des sciences.
En 1845, Jeanne Jugan a reçu le premier Prix, d'une valeur de trois mille francs.
Un Franc de 1850 = 3,27 euros d’aujourd’hui.
Adressé par la Commune de St-Servan à l'Académie française le 21 décembre 1844, est une pièce officielle et un document de base pour établir l'historique de son oeuvre.
Commune de St-Servan, Arrondissement de St-Malo (Ille-et-Vilaine).
Les soussignés, témoins de la charité héroïque d'une pauvre fille qui, depuis plusieurs années, se dévoue au soulagement des malheureux dans la ville de St-Servan (Ille-et-Vilaine), ainsi qu'il va être constaté plus bas, croient devoir produire une vertu si généreuse et la soumettre à mm. les membres de la commission concernant les prix de vertu fondés par m. de Montyon. Du reste, les soussignés déclarent que la démarche qu'ils font ne leur a point été suggérée par celle qu'ils recommandent, mais que, de leur propre mouvement, ils ont témoigné à cette pauvre fille leur intention à cet égard. Elle, bien éloignée de penser qu'elle méritât des éloges, a conjuré avec larmes qu'il ne fût fait aucune mention d'elle, mais enfin elle a consenti dans l'intérêt de ses pauvres.
Jeanne Jugan est née à. Cancale, petit port de mer, le 28 (sic) octobre 1792, de parents pauvres, mais honnêtes et vertueux. Obligée de quitter la maison paternelle à. cause de la pauvreté de sa famille, elle est venue à. St-Servan à. l'âge de vingt-cinq ans. Elle y a servi en plusieurs maisons avec une grande fidélité et sa conduite y a toujours été d'une régularité parfaite. Elle a servi, entre autres personnes, une ancienne demoiselle toute occupée de bonnes œuvres et alors sa joie la plus douce était de seconder sa chère maîtresse dans les pieux exercices de sa charité. Celle-ci étant morte, Jeanne s'est retirée à. sa part, sans revenus et travaillant pour vivre. Mais, pressée du désir de faire le bien, elle n'a pas été longtemps sans trouver l'occasion d'exercer son zèle.
St-Servan, quoique comptant une population assez considérable, et une population de marins, qui, trop souvent, décimés par les dangers de la mer, laissent leurs vieux parents sans ressource, St-Servan n'avait point d'hospice ni aucun lieu pour recueillir la vieillesse indigente de l'un et de l'autre sexe, de sorte que beaucoup de malheureux vieillards y étaient exposés à. toute sorte de misères. Leur triste position attendrit le cœur de Jeanne, elle entreprend de venir à. leur secours. Mais comment fera-t-elle? Elle n'a pas de fortune, n'importe. Elle se confie en Dieu... Au commencement de l'hiver de 1839, elle apprend qu'une vieille femme pauvre, infirme et aveugle vient de perdre sa sœur, l'unique qui la soignait et qui allait lui chercher son pain; touchée de son sort, Jeanne la fait transporter dans sa maison et l'adopte pour sa mère. La nourriture de cette première ne l'inquiète pas beaucoup: pour la faire vivre, elle travaillera plus avant dans la nuit.
Peu de temps après, une ancienne servante qui avait servi fidèlement et sans gages jusqu'à leur mort ses maîtres tombés dans la détresse, et qui, non seulement les avait servis ainsi, mais avait dépensé pour eux toutes ses économies, et, tout étant épuisé, avait fini par aller leur chercher du pain et à elle aussi ; après leur décès, faible et infirme, elle expose à. Jeanne son triste sort: celle-ci à l'instant la recueille avec joie.
Cette double conquête ne fait que stimuler son zèle. Ne pouvant plus, dans sa maison trop petite, recevoir d'autres malheureux, elle en loue une plus grande et y entre le 1er octobre 1841. Un mois après, sa nouvelle maison est remplie partout; douze pauvres vieilles femmes y trouvent un abri. Mais pour les nourrir que fera Jeanne? Quelque peu d'argent qu'elle avait réservé est bientôt consommé. Alors sa charité la rend ingénieuse. Puisque je n'ai plus de pain à. leur donner, dit-elle, eh bien! j’irai leur en chercher: aussi bien, cette tache me convient mieux qu'à ces misérables, cassées par les ans et les infirmités. Elle réalise ainsi sa pensée: elle demande à. chacun de ses pauvres le nom des personnes bienfaisantes qui l'assistaient, et elle va elle-même solliciter leurs aumônes. Tous consentent volontiers, et avec juste raison; car, au lieu qu'auparavant ces malheureux avaient la fatigue et l'humiliation de mendier, et souvent ils abusaient de ce qui leur était donné, Jeanne remplit cette tâche à leur place, et chacun est sur que son aumône est bien placée.
Cependant on va visiter la pauvre maison de Jeanne, l'intérêt général s'attache à une œuvre si douce. On sent le besoin de donner enfin un asile à la vieillesse abandonnée. Plusieurs personnes généreuses se réunissent pour procurer une maison plus spacieuse. Cette maison est acquise. On la cède à Jeanne; mais on ne peut faire davantage; ainsi on la prévient que si le nombre de ses pauvres augmente, ce sera à elle à pourvoir à leur nourriture et à leur entretien. N'importe, Jeanne accepte, pensant que la Providence, qui l'a si bien servie jusqu'ici, ne lui fera pas défaut, et elle entre avec joie dans sa nouvelle demeure le 1er octobre 1842.
Bientôt, au lieu de douze pauvres, elle en a vingt, de vingt elle passe à trente; un an après, sur la fin de 1843, elle en avait quarante, et aujourd'hui, ô bénédiction! elle compte autour d'elle une famille de soixante-cinq misérables des deux sexes, tous vieux ou infirmes, ou estropiés, ou manchots, ou idiots, ou atteints de maux incurables, tous arrachés à la misère dans leurs greniers, ou à la honte de mendier dans les rues, beaucoup arrachés aux vices que le vagabondage traîne après soi.
Mais qui pourrait dire le zèle de cette fille à recueillir les pauvres! Que de fois, allant elle-même les chercher en leur triste réduit, elle les a déterminés à la suivre, ou, s'ils ne pouvaient marcher, se chargeant d'eux comme d'un précieux fardeau, elle les a emportés avec bonheur dans sa maison. Un jour, elle apprend qu'un vieillard de soixante-douze ans, Rodolphe Lainé, ancien marin, non pensionné, est abandonné dans un caveau humide. Elle s'y rend, elle aperçoit un homme au visage exténué, couvert de haillons à moitié pourris, et jeté sur ce qui avait été de la paille autrefois et n'était plus qu'un hideux fumier.
Ce malheureux avait une pierre pour oreiller; son caveau étant au bas d'une maison de pauvres, ceux-ci lui donnaient quelques morceaux de pain, et il vivait ainsi depuis deux ans. À cet aspect Jeanne est émue de la plus vive compassion, elle sort, va confier ce qu'elle a vu à une personne bienfaisante, et arrive un instant après avec une chemise et des vêtements propres. Quand le vieillard est changé, elle transporte ce nouvel hôte en sa maison, et aujourd'hui il jouit d'une bonne santé.
On pourrait citer bien d'autres traits du même genre. Elle a recueilli une petite fille de cinq ans, Thérèse Poinso, orpheline et estropiée, de laquelle personne ne voulait; une autre fois, une jeune personne de quatorze ans, Jeanne Louette, que ses parents dénaturés, quittant notre ville, avaient abandonnée; elle a recueilli cette malheureuse lorsqu'on la traînait à un lieu de prostitution. Un jour, une fille de mauvaise vie, ne voulant plus sustenter sa vieille mère, la veuve Colinet, l'apporte et la jette dans la rue en face de la maison de Jeanne: cette pauvre femme avait à la jambe un ulcère horrible, c'est une raison pour qu'elle soit reçue avec plus de bonté. Un autre jour, c'était au milieu de l'hiver, par un froid rigoureux et à la nuit tombante, deux enfants de neuf à dix ans du fond de la Basse-Bretagne et ayant fui, parce qu'ils n'avaient pas de pain, la maison paternelle, sont trouvés dans nos rues errant et frappant à toutes les portes: personne ne les reçoit les pauvres petits, car ils n'ont pas d'argent. Une voix s'écrie: Il faut les conduire à Jeanne; Jeanne, en effet, les reçoit et les nourrit jusqu'à ce que, par les soins de l'administration, qu'elle en informe, ils soient reconduits au domicile de leurs parents. (À l'exception de ces deux enfants, les autres malheureux que Jeanne a recueillis, ceux ci-dessus dénommés et les autres, sont domiciliés de St-Servan).
Excitées par son exemple, trois personnes se sont unies à elle pour partager ses soins et ses fatigues. Celles-ci vaquent à l'intérieur à tous les ouvrages les plus pénibles avec un dévouement admirable et même au détriment de leur santé, tandis qu'à l'extérieur Jeanne, infatigable, se multiplie en proportion du nombre de ses pauvres. Elle est sans cesse en marche, quelque temps qu'il fasse, un panier au bras, et elle le rapporte toujours plein. Car, non seulement, ainsi que nous l'avons dit, elle recueille les aumônes des personnes charitables qui veulent bien l'assister pour les pauvres qu'elle a chez elle et qui ne fréquentent plus leur porte; mais elle recueille encore, par une pieuse industrie, les restes de leur table, le vieux linge et les vêtements qui ne servent plus; et ainsi, ce qui souvent serait perdu lui aide à nourrir et à vêtir ses pauvres. Pour plaider leur cause, elle est vraiment éloquente, on l'a vue souvent fondre en larmes en exposant leurs besoins; aussi il est difficile de lui résister, et presque toujours elle a réussi à amollir les cœurs les plus durs. Du reste elle n'importune personne: si on la rebute, elle se retire aussitôt sans manifester le moindre mécontentement, disant: une autre fois vous nous assisterez.
Elle a identifié véritablement son sort avec celui des pauvres, elle est vêtue comme eux de ce qu'on lui donne, elle se nourrit des restes comme eux, ayant soin de réserver toujours la meilleure part à ceux qui sont malades ou plus infirmes; et les personnes qui la secondent imitent son exemple.
Enfin l'ordre règne dans cette maison. Le travail y est organisé. Un docteur médecin a la bonté de visiter gratuitement ceux qui sont malades, il y a même élevé une petite pharmacie. Les pauvres sont traités avec douceur et tenus avec une grande propreté. Ceci est à la connaissance de tous ceux qui ont visité la maison, et est attesté par les vieillards eux-mêmes qui s'y plaisent.
Ainsi, par tant de soins et par les moyens faciles qu'elle a su employer et qui ne grèvent personne, en même temps qu'elle a gagné la confiance de la ville, Jeanne Jugan est parvenue à arracher soixante-cinq malheureux au froid, à la misère, elle a débarrassé nos rues du hideux spectacle de leur mendicité, et en moins de quatre ans elle a commencé de fonder un véritable hospice ou, comme on l'appelle généralement, une maison d'asile pour les pauvres vieillards et infirmes.
Nous avons cru devoir exposer à mm. les membres chargés de statuer sur les prix de vertu une partie du bien que fait cette pauvre fille, et si leur jugement favorable croit devoir couronner tant de zèle et de charité, nous avons la certitude que la récompense qui lui sera décernée tournera au bénéfice de ses pauvres chéris.
Signe: M. J. Hay de Bonteville, chanoine honoraire, curé de Saint-Servan; E. Girodroux; Le Maré-chal; Dupont; De Bon; Jevin; H. Longueville; Louyer Villermay; Moutardier; J. Turmel; Bourdin; P. Roger; Duhaut Cilly; Bourdase; E. Gouazon.
Le maire de la commune de St-Servan, en légalisant les quinze signatures ci-dessus apposées des membres du conseil municipal et de m. le curé, certifie que tous les faits mentionnés dans l'exposé sont à sa parfaite connaissance.
St-Servan, le 21 décembre 1844.
Signe: Douville
Le soussigné membre du conseil général faisant fonctions de sous-préfet de l'arrondissement de St-Malo, par délégation de m. le préfet d'Ille-et-Vilaine, le titulaire étant en congé, s'est fait rendre compte de toutes les belles actions de la demoiselle Jeanne Jugan. Les témoignages des personnes honorables qu'il a recueillis ont été unanimes sur tous les faits consignés dans le rapport ci-contre. Il recommande donc, avec le plus vif empressement, cette vertueuse fille au bienveillant intérêt de mm. les membres de la commission établie pour la distribution des prix de vertu fondés par m. de Montyon.
Le conseiller général Signe: Louis Blaire
Il peut paraître surprenant qu'en 1845 Jeanne Jugan, renommée par sa charité chrétienne, ait été choisie pour l'attribution du premier prix Montyon et reçoive ainsi les honneurs de l'Académie française. Ce prix de vertu fut décerné à Jeanne Jugan dans un but humanitaire et non pas au nom de la religion. Jeanne semblait être une laïque éminente dont la philanthropie répondait concrètement aux appels du moment, lui attirant l'admiration de ses contemporains. Le discours prononcé par André Dupin sur Jeanne Jugan eut un immense retentissement et elle utilisera "la brochure à l'Académie" pour obtenir des autorités civiles les permissions nécessaires à l'établissement de ses fondations. elle restera simple et modeste.
Une partie du discours prononcé à l’occasion par le directeur de l’Académie M. André Dupin
S’il est quelqu’un en qui brille, à un degré éminent, le mérite d’avoir beaucoup donné, quoique ne possédant rien, certes c’est Jeanne Jugan.
Née à Cancale, Jeanne Jugan vint chercher à se placer comme servante, il y a plus de vingt-cinq ans, dans une petite ville de l’arrondissement de Saint-Malo, à Saint-Servan.
Elle entra en dernier lieu dans une maison où l’on peut dire qu’elle était à l’école des bonnes œuvres. Sa maîtresse étant venue à mourir, Jeanne, dit naïvement la notice bretonne, se retira à sa part, c’est-à-dire, à sa part de secours et de consolations à prodiguer. La maîtresse est morte ; la servante qui n’a rien la remplacera.
Or, voici ce que cette résolution, cette sorte de vœu, a produit.
Une vieille aveugle, infirme et dans la misère, venait de perdre sa compagne, son unique soutien, une sœur âgée et dans la misère comme elle ; l’hiver de 1839 allait commencer. Comment un aveugle se passerait-il d’un appui ? Où celle-ci trouvera-t-elle le sien ? Jeanne Jugan la fait transporter dans sa demeure. La voilà avec quelqu’un à nourrir et à soigner.
Une servante s’était dévouée à ses maîtres ; elle les avait servis, d’abord fidèlement dans la prospérité, puis sans gages dans la détresse, puis en les nourrissant des fruits de son labeur et de ses propres épargnes ; l’âge, les infirmités, l’incapacité du travail, enfin l’isolement étaient venus pour elle-même ; ses maîtres étaient morts ; elle était sans abri : Jeanne Jugan l’emmène encore chez elle : elles seront trois. La maison est petite, les ressources aussi ; la Providence y pourvoira.
D’autres malheureux viennent frapper à la porte de cette pauvre demeure, devenue comme une maison d’asile. Les vieillards abandonnés sont nombreux à Saint-Servan : c’est une population de marins ; les flots et les fatigues d’un rude métier emportent brusquement l’homme fort de la famille, celui dont le travail fournit aux besoins de tous. Lui mort, les enfants, les vieux parents restent sans ressources ; Jeanne veut bien leur venir en aide, mais il lui faudra chercher une maison plus grande : elle trouve cette maison ; elle la loue, elle déménage avec ses pauvres, elle s’y installe le 1er octobre 1841 ; un mois après, la maison est pleine ; douze pauvres gens y ont un abri.
Alors on en parle dans la ville, dans les classes aisées ; on va voir ; on admire et l’ordre et les soins, et les moyens ingénieux qui servent à une simple femme dénuée de tout bien, à nourrir, à entretenir, à tenir content tout son monde ; on veut s’unir à cette bonne œuvre. Une maison plus spacieuse est acquise, on la cède à Jeanne ; mais on l’avertit bien : c’est tout ce qu’on fera ; on ne peut contribuer à la dépense ; qu’elle y prenne garde, c’est elle seule que cette dépense regarde ; qu’elle ne multiplie pas trop son personnel : « Donnez ; donnez la maison, dit-elle ; si Dieu la remplit, Dieu ne l’abandonnera pas ».
Bientôt, au lieu de douze pauvres, elle en a vingt ; et aujourd’hui elle compte autour d’elle une famille de soixante-cinq malheureux des deux sexes, tous vieux ou infirmes ou estropiés, ou atteints de maux incurables, tous arrachés à la misère Bientôt, au lieu de douze pauvres, elle en a vingt; et aujourd'hui elle compte autour d'elle une famille de soixante-cinq malheureux des deux sexes, tous vieux ou infirmes ou estropiés, ou atteints de maux incurables, tous arrachés à la misère dans leurs greniers, ou à la honte de mendier dans les rues, ou soustraits aux vices que le vagabondage traîne après soi.
Excitées par son exemple, trois personnes sont venues se joindre à Jeanne pour le service, vouées à toutes les occupations de l'intérieur; le travail est organisé dans la maison, volontairement, selon l'aptitude et les facultés de chacun; un médecin y visite gratuitement les malades; il y a élevé une petite pharmacie: en un mot, Jeanne Jugan a doté d'un véritable hospice la ville de Saint-Servan.
Messieurs, le plus grand nombre des hospices a été fondé par des communes ou par l'État. D'autres établissements du même genre l'ont été par des hommes riches, par des dispositions testamentaires, par des appels à la bienfaisance, à l'aide de souscriptions ou même de loteries savamment organisées: l'hospice de Saint-Servan a été fondé par une pauvre servante qui n'avait pour richesses que sa charité.
Massillon a dit, en parlant des grands, que «la Providence se décharge sur eux du soin des faibles et des petits »: ici elle s'est déchargée sur le pauvre du soin des pauvres et des affligés.
Il faut voir comme Jeanne Jugan recrute les habitants de son hospice! Il n'y a pas là de bureau, de registre, de pétition, de formule administrative.
Jeanne apprend qu'un vieux marin de soixante-douze ans est délaissé dans un caveau humide, couvert de quelques haillons, sur un lit de paille brisée, avec quelques morceaux de pain noir pour nourriture; elle y court, elle le fait transporter chez elle: il sera l'un de ses commensaux.
Une petite fille vient de rester orpheline, sans parents aucuns; elle n'a que cinq ans, elle est estropiée, personne n'en veut: elle sera pour Jeanne Jugan.
Deux enfants de neuf à dix ans, qui manquaient de pain dans la maison paternelle, ont fui du fond de la basse Bretagne; ils sont parvenus jusqu'à Saint-Servan; ils errent dans les rues, frappent à toutes les portes au milieu de l'hiver, par un froid rigoureux, à l'entrée de la nuit; tout reste fermé, nulle part on ne les recueille, partout on les renvoie. « Il faut les conduire à Jeanne! » s'écrie une voix, et Jeanne les prend et les nourrit jusqu'à ce que, par les soins de l'administration, ils soient reconduits à leur famille.
Et cette jeune fille de quatorze ans que ses parents, en fuyant la ville à l'improviste, y ont abandonnée, qui ne sait que faire, qui ne sait ou aller? Déjà l'on s'en est emparé! ... rassurez-vous: Jeanne Jugan est là; elle l'arrache à des mains impures, elle ouvre un asile à sa vertu.
Une femme de mauvaises mœurs, fille dénaturée, s'est lassée de sa vieille mère: sa mère cou te à nourrir, sa mère est dévorée par un ulcère horrible; elle n'en veut plus! Elle la dépose dans la rue en face de la maison de Jeanne, comme pour dire à celle-ci: Tu la prendras si tu veux: Jeanne la prend en effet.
Mais il reste un problème qui se présente sans doute à l'esprit de chacun de vous: comment est-il possible que Jeanne puisse suffire aux dépenses d'une telle maison? Que vous dirai-je! la Providence est grande, Jeanne est infatigable, Jeanne est éloquente, Jeanne a les prières, Jeanne a les larmes, Jeanne a le travail, Jeanne a son panier qu'elle emporte sans cesse à son bras et qu'elle rapporte toujours plein.
Sainte fille! L’Académie dépose dans ce panier la somme dont elle peut disposer; elle vous décerne un prix de 3.000 fr.