PETITES SOEURS DES PAUVRES
Soeur Marie Albéric du Sacré Coeur - Françoise Teilhard de Chardin
L'apostolat sera désormais ma vie
Françoise Teilhard de Chardin nait le 4 mai 1879 à Sarcenat dans le Puy-de Dome.
Elle entre dans la Congrégation des Petites Sœurs des Pauvres en mars 1903 fait sa première profession en 1905.
Elle est envoyée en Chine en 1909 . En septembre 1910 elle reçoit la charge de la maison de Shanghai.
Le 27 mai de l'année suivante, elle se trouve soudain très fatiguée. elle est atteinte de maladie - la variole -
qui l'emportera onze jours plus tard, à l'aube du 7 juin 1911.
"Les Petites Sœurs m’attirent"
A l’âge de onze ans, Mme Teilhard emmène Françoise au sanctuaire de Paray-le-Monial. C’est là qu’elle fait remonter son premier appel à la vie religieuse.
Jeune, Françoise se montre douée pour l’étude. Se sentant appelée à la vie religieuse, elle aurait pu choisir la Congrégation des Dames du Sacré Cœur où deux de ses tantes sont religieuses, ou bien celle des Auxiliatrices du Purgatoire qu’elle apprécie, mais dit-elle : "Les Petites Sœurs des Pauvres m’attirent". Elle note dans ses réflexions personnelles :
"Après quelques jours de prière et de réflexion, pendant lesquels j’ai prié Dieu de tout mon cœur, je décide plus que jamais, je renouvelle plus particulièrement la résolution inébranlable et ferme de me consacrer irrévocablement à Jésus Christ dans la Congrégation des Petites Sœurs des pauvres".
Les Petites Sœurs m’attirent
- par leur charité,
- par l’union de la vie contemplative et de la vie active,
- par leur pauvreté. Quand on donne, il faut tout donner.
"De la tête aux pieds, je me sens Petite Sœur des Pauvres"
Postulante, Paris Breteuil (Mars – Novembre 1903)
En mars 1903, Françoise Teilhard de Chardin entre postulante à la maison de Paris Breteuil.
Postulante à la maison de Paris Breteuil, son amour pour Dieu lui devenait plus intense : Elle comprit la dévotion au Sacré Cœur, comme elle ne l’avait jamais fait jusque-là […] : "Désormais ma vie ne sera qu’un acte d’amour et de réparation au Sacré Cœur "
A sa mère, Breteuil, mercredi soir, mars 1903,
"De la tête aux pieds je me sens Petite Sœur des Pauvres. […] Voilà comment se passe mes journées ; Je lève une petite bonne femme avant la messe, et après avoir eu quelques inquiétudes de la casser, je commence à m’en tirer à peu près. […] La matinée et l’après-midi se passent à divers emplois. Je suis de temps en temps à l’infirmerie des dames, avec une postulante très gaie et c’est une partie de plaisir du commencement à la fin. Ces jours-ci je suis à la chapelle. Rien ne me fatigue, je vous assure : j’enfile les longs corridors de Breteuil. Ce qui me donnait le plus de peine au commencement c’était de me reconnaître. On m’envoyait chez les hommes, je tombais chez les femmes, à l’infirmerie je me précipitais chez la Bonne Mère, enfin le sens géographique me vient. Vous devriez voir quelle activité règne ici. Le matin, on dirait une ruche. Quelle bonne et belle vie que la nôtre !
A Dieu, ma chère petite maman, je voudrais tant que vous sachiez ainsi que Papa, que les Petites Sœurs aiment leurs parents, plus que n’importe quelles filles au monde. Croyez que je suis tout à fait dans ma vocation et tout habituée déjà. Au fond, rien n’est simple et large comme notre vie, et si gaie.
C’est absolument la vie qu’il me faut, très simple, très active et très large. J’aime l’espace et les grands horizons, et ici, on est pris tout entier dans une existence bien belle et par une famille qui travaille dans le monde entier."
La Tour St Joseph – Noviciat (Novembre 1903 – Octobre 1905)
Sr Marie Albéric du Sacré Cœur
La postulante Françoise, après ces quelques mois d’apprentissage de la vie hospitalière des Petites Sœurs des Pauvres, à la maison de Paris Breteuil, poursuit sa formation au Noviciat de La Tour St Joseph. Elle y restera deux ans du début novembre 1903 jusqu’à sa profession religieuse faite le 24 octobre 1905.
En arrivant à La Tour, elle reçoit son nom de religieuse : Sr Marie-Albéric du Sacré Cœur ; un nom qui lui rappelle son jeune frère Albéric décédé de maladie quelques mois avant son entrée dans la Congrégation ; un nom qui souligne son attachement particulier au Cœur de Jésus.
A sa mère, La Tour St Joseph, novembre 1903
"Me voici donc au noviciat des Petites Sœurs des Pauvres ; je peux à peine y croire, tant je suis heureuse de voir que le bon Dieu veut vraiment de moi. Je suis encore tout étonnée d’avoir quitté mon Postulat de Breteuil car le temps y a passé si vite qu’il me semblait y être arrivée d’hier seulement. […] Nous avons quitté Paris mercredi matin au nombre d’une vingtaine, Postulantes et Petites sœurs revenant pour leurs grands vœux. […] Nous sommes arrivées à 5 heures du soir et avons débarqué à la Tour rapidement après – mais ce n’est que le lendemain matin que j’ai pu me rendre un peu compte de l’endroit où j’étais Je ne peux résumer mes impressions que dans un seul mot – La maison est grande, grande, grande ; comme le noviciat n’a qu’un étage, il n’y a pas un grand nombre de salles. Mais on en remplace le nombre par les dimensions ; dans la grande salle de travail où il y a place pour tout, repassage, cordonnerie, raccommodage, les 200 novices et Postulantes en remplissent seulement la moitié. […]
Ce qu’il y a de vraiment bon à la Tour c’est l’impression profonde de calme et de recueillement que l’on éprouve. Les environs me semblent extrêmement jolis assez accidentés avec des prés et des arbres à perdre de vue ; cette solitude porte au bon Dieu déjà, et près de soi on sent que l’on est entourée d’âmes si ferventes, si désireuses de se consacrer à Dieu que cela achève de vous donner un ardent désir de bien faire.
Vous m’avez demandé des nouvelles sur La Tour et je vais me dépêcher de vous en donner d’aussi détaillées que possible afin que vous puissiez voir de loin la vie de Postulantes des Petites Sœurs au Noviciat. C’est simple et champêtre, tout à fait Petite Sœur, c’est-à-dire fait de travail et d’activité. […] On travaille toujours dehors. Nous avons rentré de nombreux tombereaux de carottes et de betteraves, puis de feuilles séchées. Comme emploi, je suis au repassage. Je pense avec reconnaissance à cette bonne Marie de la Roche qui m’a appris à tenir le fer, le métier entre tout doucement. Avec le repassage marchent encore quelques autres petites occupations ; rien ne m’amuses comme d’aller éplucher les seau de carottes, de navets et de pommes de terre que dévore le noviciat, car on a toujours faim à La Tour – ou d’aller précipiter dans de vastes baquets toutes les bassines – mot essentiellement du dictionnaire des Petites Sœurs des Pauvres pour désigner tout ustensile servant de contenant – et les plats qui ont servi à notre dîner. J’ai toujours eu un faible pour la cuisine et ses dépendances.
[..] si cela intéresse papa, je lui annonce que nous avons eu dernièrement un départ de Petites Sœurs pour Hiederhabad dans les Indes, c’est une nouvelle fondation. En janvier ce sera le tour de Shanghai.
Tourcoing, Amiens
(1905 – juillet 1909)
"Je suis quêteuse"
A La Tour St Joseph, Sr Marie Albéric fait sa première profession le 24 octobre 1905. Elle reçoit sa première obédience pour la maison de Tourcoing où elle aide à la quête et aux soins des personnes âgées.
En 1906, après cinq mois passé à Tourcoing, elle part pour Amiens où elle restera jusqu’en juillet 1909. A Amiens, elle est chargée de la quête puis d’un service de résidents.
A son frère Pierre, Tourcoing, octobre 1905
"C’est donc le 24 que j’ai prononcé mes vœux. Tu connais toi-même le bonheur de ce jour-là. C’est une joie qui dépasse toutes les joies et après laquelle on ne peut plus désirer que le ciel : je n’aurais jamais cru qu’en ce monde on peut être heureuse à ce point. Après mes vœux, j’ai reçu aussitôt ma nouvelle destination et c’est de Tourcoing que je t’écris. En fait d’étranger, le Nord n’est pas précisément l’idéal. Tu sais où allaient mes désirs : Shanghai, Nouméa, ou quelque pauvre, bien pauvre petite maison d’Espagne ou d’Italie. Le bon Dieu n’a rien voulu de tout cela, et peu importe du reste, puisque notre seul désir doit être de faire sa volonté ! Je suis quêteuse, c’est tout à fait gentil d’aller un peu partout demander le pain de Notre Seigneur".
"C’est bien là le vrai sens de la vie"
En août 1906, les Petites Sœurs ouvrent une maison à Shanghai. Sr Marie-Albéric le mentionne dans ses lettres à sa famille. Son cœur se porte toujours vers les pays lointains, mais elle est toute donnée à sa vie hospitalière du Nord de la France.
A sa mère, Amiens, le 26 novembre 1906
Nos Petites Sœurs ont ouvert cet été à Shanghai un asile pour 300 vieillards ; la place ne nous manquera pas en cas de départ. Mais le bien ne manque pas plus à réaliser dans notre pauvre pays qu’à l’étranger ; on s’en convainc mieux tous les jours. Il est bien rare que nous recueillions ici un vieillard qui pratique encore, et jamais ceux qui sont de la maison nous quittent sans s’être réconciliés avec le Bon Dieu. L’autre jour encore, nous perdions un [des résidents] qui avant de mourir a remercié [Notre Mère] et lui disait si bien : Je prierai bien pour vous au ciel, sans vous je serais mort dans la misère et depuis que je vous ai connue, rien ne m’a jamais manqué. Je vous assure ma chère Maman qu’à la fin de l’une de nos années de Petite Sœur lorsque regardant en arrière on songe à tant de [personnes] qui ont retrouvé dans nos maisons la grâce de Dieu et qui apaisées et consolées sont parties pleines de confiance pour leur éternité, on ne peut que remercier le bon Dieu de tout son cœur d’avoir été choisie pour une telle mission.
C’est bien là le vrai sens de la vie, de pouvoir la donner tout entière aux seules choses qui ne passent pas.
En octobre 1908, Sr Marie Albéric est nommée Petite Sœur Assistante à Amiens. Elle se donne de tout cœur à ce service, ne compte pas sa peine pour aider à la bonne marche de la maison pour que les résidents soient bien soignés et heureux. Elle garde cependant toujours en son cœur le désir qu’elle a toujours eu de partir en mission ; désir qu’elle renouvelle à sa Supérieure Générale en lui écrivant après avoir reçue sa charge d’assistante.
Puisque j’ai l’occasion de vous écrire, voulez-vous me permettre de vous demander quelque chose. Déjà, pendant le temps de mon Noviciat, j’ai manifesté le désir que j’ai toujours eu en me donnant au bon Dieu, des Missions ou tout au moins de l’étranger – et cela a été même une des raisons du choix de notre chère Congrégation. […] Je vais à vous en toute confiance, très sûre que tout ce que vous voudrez de moi sera toujours et en tout le plus sûr et le meilleur.
Huit mois plus tard, en juin 1909, elle reçoit son obédience qui répond à son désir missionnaire.
A son frère Pierre, Amiens, juin 1909
Le Sacré Cœur pendant son mois, le jours de sa fête, vient de combler le plus ardent de mes désirs. A l’heure où je n’osais plus l’espérer, Notre Seigneur dans son immense bonté vient de m’offrir… la maison de Chine. Te dire que j’ai accepté, après avoir prié de tout mon cœur, est chose inutile. Te le devines assez, et il n’y a plus de place dans mon âme maintenant que pour la reconnaissance. Que Notre Seigneur est donc bon pour moi ! Jamais je ne l’ai mieux compris. Moins je méritais cette grâce immense, plus je Le trouve généreux de me l’avoir accordée. La chose est maintenant tout à fait décidée et je dois quitter Amiens à la fin de juillet. J’annoncerai moi-même mon départ à Maman dans quelques jours : je sais qu’elle et Papa feront saintement leur sacrifice.
Shanghai septembre 1909 – juin 1911
A Marseille, le 1er août 1909, avec sept autres Petites Sœurs, Sr Marie Albéric s’embarque sur un paquebot de messageries maritimes. La traversée Marseille-Shanghai, avec escale à Colombo dure 35 jours.
Tout au long de ces jours de traversée, Sr Marie-Albéric décrit les beautés et les aléas du voyage, espérant toucher les côtes chinoises bientôt. Sa dernière lettre date du 4 septembre. Elle est adressée à sa mère :
Shang-Haï le 4 septembre. C’est donc enfin de la Chine, que je date cette dernière feuille de ma lettre. Nous avons quitté le « Polynésien » jeudi matin et remonté pendant 2 heures la large rivière sur laquelle Shanghai est bâti ; depuis la veille nous sommes en face des bouches du Yan-Tsé-Kiang qui salit la mer de ses eaux jaunâtres.
La Bonne Mère nous attendait sur le quai et vous devinez le bon accueil qu’elle nous a fait. Le port de Shanghai est très vaste, et ressemble à un grand port européen, mais à mesure que l’on s’approche de notre Maison on se sent bien en Chine. […] Comme ouvrage ici, je vais avoir la Chapelle et aider de côté et d’autre ; vous prierez pour que j’apprenne vite le Chinois afin de pouvoir faire du bien aux vieillards. La Bonne Mère et les Petites Sœurs leur parlent déjà facilement.
"Le cher Lo-gnen-dong" A sa mère, le 27 novembre 1909
« J’ai l’honneur d’être chargée depuis quelques semaines de la salle des Femmes. Vous voyez d’ici le tableau des premiers jours : une centaine de femmes chinoises qui crient d’autant plus fort que la « Mou mou » comprend moins. Il faut vaincre ou mourir, autrement dit quitter la place ou apprendre le chinois ; c’est naturellement à ce dernier parti que l’on se rend, et me voilà toute la journée à parler quelque chose qui n’est certainement pas du français, mais que je ne puis encore honorer du nom de chinois. N’importe, je crois que cela viendra, d’autant plus que la Bonne Mère m’a confié nos Petites Sœurs postulantes pour le français, et elles me rendent en retour le grand servie de m’expliquer beaucoup de mots. Ma salle ne manque, vous le comprenez, d’intérêt ni de pittoresque et je crois que dans ma vie je n’ai jamais aimé de pauvres autant que ces dames chinoises. […] Nous conservons soigneusement pour leur nourriture les usages et la cuisine du pays et tout mon petit monde se sert des célèbres baguettes ; on les tient très adroitement les deux dans la même main et elles forment comme une petite pince ; le liquide est facile à absorber, le Chinois se servant de petits bols et non d’assiettes. Si vous saviez ce qu’ils absorbent de riz ! Quand une des femmes ne peut en manger ses deux grands bols le matin, elle se croit à l’agonie.
[…] Par-dessus tout cela, plane la joie immense des vieillards qui demandent à être baptisés. Il se fait des miracles de grâce et beaucoup après leur baptême deviennent d’une ferveur admirable. Plusieurs demandent le baptême pour être comme les Mères ; c’est notre foi qui nous a donné la charité et comme par une réponse sublime, Dieu permet que notre charité leur donne la foi. Dernièrement nous avons eu 30 baptêmes.
En septembre 1910, Sr Marie Albéric reçoit la charge de la maison de Shanghai.
Le 27 mai de l’année suivante, elle se trouve soudain très fatiguée. Elle est atteinte de maladie - la variole - qui l’emportera onze jours plus tard, à l’aube du 7 juin.
Elle fera sa profession perpétuelle "à l’article de la mort", le 1er juin. La Petite Sœur Assistante, Sr Gabrielle de St François, qui avait été auparavant sa Mère supérieure, envoie à Mère Thérèse de la Conception, une prière trouvée après sa mort, sans doute écrite, dit-elle, "à son départ pour la Chine". Cette prière au Cœur de Jésus traduit tout l’amour ardent de Sr Marie-Albéric pour son Seigneur et son Maître, Jésus, qu’elle voudrait faire connaitre, aimer, faire vivre dans tous les cœurs. Elle demande à Jésus, au Cœur de Jésus de lui enseigner "l’apostolat de son amour", de lui "donner un cœur ardent et généreux, tressaillant de joie dans les sacrifices ", […] "un cœur dont votre amour sera l’unique amour".
L’apostolat sera désormais ma vie.
Toute mon âme, ô mon Dieu,
Vous priera, vous adorera,
Pour ceux qui ne vous connaissent pas et ne vous prient jamais ;
Elle vous demandera pardon pour ceux qui vous offensent.
Toutes mes œuvres seront une supplication,
Mes moindres actions une prière,
Toute ma pauvre vie comme un holocauste perpétuel
Offert à votre amour dans cet esprit d’apostolat !
Votre infinie charité sera le principe de cette joie
et brûlera mon âme du désir de vous faire aimer ;
cette joie dira à tous ceux que je rencontrerai sur ma route :
Aimer Jésus-Christ, c’est la vraie vie,
Souffrir pour Lui, un gain et un bonheur.
O Jésus-Christ, que votre voix est douce
Que votre appel est pressant !
Oh ! que ne puis-je le faire entendre à tous
Et faire retrouver à tous dans votre Cœur la vie et le salut !
Sources :
- Françoise Teilhard de Chardin ( 1879 - 1911) Lettres et témoignages