Contemporain de Jeanne Jugan, Ernest Lelièvre, prêtre du diocèse de Cambrai, lui ressemble comme un frère : même amour enflammé pour Dieu, même affection pour les personnes âgées, même abnégation à leur service et même partage effectif de leur pauvreté. Quant à son sens de la quête, il était aussi aiguisé que celui de Jeanne Jugan !
Artisan de fondations
Ses œuvres le louent par elles-mêmes. Il avait été l'un des principaux instruments de cette merveille...
Ernest naquit dans un des plus riches hôtels de Valenciennes. Sa famille, une des premières de cette ville, avait acquis cette situation d'honneur et de fortune dans l'industrie des tissus et dans celle des grands établissements métallurgiques du voisinage. C'est à M. Lelièvre père, qu'est due, pour une bonne part, la fondation de la société des Forges et Hauts fourneaux d'Anzin et de Denain.
M. Lelièvre, né à Amsterdam, pendant l'émigration, avait épousé, en 1824, Adèle-Augustine-Clotilde Bernard-Beaussier, de cette dynastie industrielle des Bernard, qui remplit la région du Nord de son nom et de ses œuvres. C'est de ce mariage que, le 13 avril 1826, naquit un premier fils, Ernest-Auguste.
Les Bernard-Beaussier habitaient Lille, où une autre de leurs filles, Sophie, avait épousé, en mai 1829, un ingénieur de haut mérite qu'ils associèrent à leur industrie sucrière. Ce gendre était M. Charles Kolb, désormais Kolb-Bernard, le futur député et sénateur du Nord, qu'il suffit de nommer.
Ernest fait deux séjours successifs chez les Jésuites de Saint-Acheul : il se pense appelé à entrer dans la Compagnie de Jésus... Il n'a que 17 ans. Son père lui demande de terminer d'abord ses études secondaires. IL sera reçu bachelier en 1844, avec la mention très bien. Depuis peu, il est membre actif de la Société de Saint-Vincent-de-Paul... L'année suivante, Ernest est à Paris où son père a jugé sage qu'il prépare son droit avant de songer à la Compagnie de Jésus. Après sa licence, il y passera son doctorat. Sa situation d'étudient fortuné lui permet une vie facile... Bientôt, l'appel ressenti à Saint-Archeul se fait lointain, sa foi s'étiole...
Son frère Albert, brillant jeune homme de 19 ans, meurt de tuberculose à Montpellier en mars 1849 ; Ernest est seul près de lui, loin des siens. C'est un arrachement. Une autre épreuve va le rendre à lui-même et à Dieu. "Fin 1850, un coup qui, cette fois, le frappa en plein cœur, lui fit une blessure profonde, presque mortelle, et qui saigna longtemps". Cette blessure - un amour passionné pour l'une des ses cousines, amour que la jeune fille et sa famille repousseront - lui fait peu à peu, non sans douleur, retrouver le chemin de Dieu et s'ouvrir à nouveau à son appel. A cette époque il entre pour la première fois en contact avec les Petites Sœurs des Pauvres, à Paris d'abord, puis à Lille.
Docteur en droit le 3 décembre 1851, il part pour Rome à la mi-janvier 1852, disant adieu à un avenir brillant pour se préparer au sacerdoce. Il entre à l'Académie ecclésiastique des Nobles, placée sous la dépendance directe du Pape.
"Après bien des pérégrinations et des orages, j'ai enfin trouvé le port, écrit-il à son ancien précepteur. La satisfaction que vous lirez dans mes lettres naît de la certitude où je suis que je marche dans la voie où Dieu me veut".
Sous-diacre depuis le 27 mars 1853, il recevra le diaconat à Rome en 1854 et l'ordination sacerdotale le 2 juin 1855 dans son diocèse d'origine, selon le désir de l'archevêque de Cambrai.
Le 10 juillet 1855, l'abbé Lelièvre est Rennes, dans le très pauvre quartier général des Petites Sœurs des Pauvres. "Ce fut, dit-il à son père, une joie inexprimable pour tous ceux qui nous attendaient. Cent cinquante novices et postulantes étaient rangées dans la cour. Derrière elles, environ trois cents pauvres et les Sœurs de la maison des vieillards. On se rendit à la chapelle où l'on chanta le Salve Regina. Puis, après la bénédiction du Saint-Sacrement, je fus conduit par la maison. ... Comment tout ce monde fait-il pour vivre ? C'est un grand mystère. Il y a là des bénédictions qui font venir les larmes aux yeux. Que Jésus, mon cher père, nous fasse croître les uns et les autres dans son saint amour : je vous aime beaucoup devant Lui".
"On ne sait pas le bonheur qu'il y a d'être tout à Dieu, si on ne l'a goûte. Si je vous ouvrais mon âme, il est probable que ce que je vous en dirais vous paraîtrait exagéré, puisque je ne puis le comprendre moi-même. Dieu a été miséricordieux pour moi. Je lui dois tout, j'attends tout de lui ; il est ma vie". Ces lignes écrites à M. Despierre après deux mois de ministère chez les Petites Sœurs disent qu'Ernest est bien dans sa voie.
Au commencement de 1856, Ernest annonce à son père que les Petites Sœurs sont "à la veille de faire une grande folie" ou plutôt "un acte de foi" : l'acquisition d'une vaste propriété sur la commune de Saint-Pern pour y transférer la maison-mère et le noviciat. "On ne pouvait plus tenir à Rennes, explique la lettre. La nouvelle situation à la campagne est excellente : Dieu a montré avec insistance qu'elle nous convenait et qu'il nous la destinait. Le marché s'est donc fait... Les premiers paiements sont effectués. Après cela, on s'est trouvé au noviciat dans une joie inexprimable, car la caisse venait d'être vidée jusqu'au fond... Voilà comment on s'y trouve à cette heure sans la plus petite ressource, c'est-à-dire dans un état où il faut nécessairement mourir de faim, si Dieu ne se fait le pourvoyeur de ses enfants... Et cependant, personne n'a peur ; tous les cœurs sont contents. Voilà notre existence".
Aprs l'Ascension de 1858, le Père Lelièvre quitte La Tour, véritable "paradis de la pioche", pour rejoindre Paris. "Me voilà au milieu des pauvres auxquels je sers d'aumônier, et dans un calme dix fois plus grand que je n'étais à la maison-mère", écrit-il à ses frères. Il se partage entre la maison de l'avenue de Breteuil et celle de la rue Beauvau, "si content d'être là, avec les pauvres et le bon Dieu !" Paris reste son quartier général de 1858 à 1861 : de ce centre, il rayonne en province "comme visiteur, fondateur, prédicateur des maisons de la Petite Famille". On le retrouve à Saint-Etienne, Bordeaux, Poitiers, tandis qu'avec la collaboration des siens, il travaille à de nouvelles implantations dans le Nord : à Valenciennes, puis à Escaudoeuvres et Roubaix. Là comme ailleurs, et plus qu'ailleurs sans doute, il apporte sa grande part.
Dans les premiers jours de juin 1888, le grand missionnaire revient à La Tour. Il ne la quittera plus jusqu'à sa mort. "Le train touche au terme du voyage, écrit-il dans ce temps-là. Les dernières manœuvres peuvent décider de tout. La question d'un bon aiguilleur pour l'arrivée est une question de vie ou de mort. Grâces à Dieu, je suis tranquille à cet égard. Si tant de fois je me suis livré aux employés des lignes françaises et étrangères, et si j'ai ensuite dormi de confiance dans le train, combien plus sur la voie de l'éternité suis-je rassuré par le nom de Celui qui me conduit ! Il connaît mieux que personne la route que lui-même a frayée, et les mains sont sûres et fortes qui manient les aiguilles aussi bien que la machine !... Je ne suis ni conduit, ni traîné, ni contraint pour franchir ce passage. Je suis porté ; et Celui qui me porte est celui-là même à qui je veux aller. Toute l'affaire est donc de le laisser faire..." Une consultation de trois médecins constate une grave hypertrophie du cœur. Un surcroît de souffrances lui vient d'une sciatique tenace qui l'empêche de dormir.
Sa mauvaise vue et son épuisement lui rendent l'écriture de plus en plus difficiles. Sa dernière lettre date du 29 mars 1889 ; après, ce ne sont plus guère que des billets.
Le 5 avril, veille du dimanche de la Passion, le Père Ernest célèbre sa messe avec une extrême fatigue. Ce sera la dernière. Quelques jours plus tard, il écrit au crayon un dernier adieu à son fidèle ami d'Amiens : "... Je ne tiens plus bien la plume, ma main étant enflée et engourdie. Le reste du corps n'est pas non plus de bonne qualité. Je ne lui connais plus d'aptitudes pour traiter aucune des affaires de ce monde ; mais tel qu'il est, il peut encore, par la souffrance, me servir de moyen pour gagner le ciel..."
Il aimait à répéter : "Jésus, père des pauvres, ayez pitié de moi !" Jetant un regard sur toute sa vie et particulièrement les dernières années : "J'ai, en mourant, la consolation de pourvoir dire que je n'ai jamais cherché qu'une chose : procurer la gloire de Dieu, en travaillant au bien de la Petite Famille et à sa persévérance dans l'esprit de son origine". Et encore : "Je meurs n'ayant dans l'âme aucune aigreur, aucun ressentiment contre qui que ce soit. Veuillez le dire à l'occasion."
Le cardinal Place vint exprès de Rennes pour voir, entretenir et consoler le prêtre qu'il tenait particulièrement en vénération et admiration. Il avait fondé une grande espérance sur ce sage ministre et saint apôtre de l'oeuvre, pour l'avenir de la Congrégation des Sœurs. c'était aux premiers jours de mai.Le lundi 1er juillet, une pneumonie se déclare. Le mardi, tout espoir est perdu. Il peut encore communier encore le lendemain, se lève même quelques instants dans l'après-midi et cause avec une totale lucidité. Vers 17 h 30, il entre en agonie. Elle ne dure pas dix minutes. Il reçoit une dernière absolution, s'unit aux prières et sans secousse, sans effort, s'endort en Dieu pour toujours. Âgé de 63 ans, il a 34 ans de sacerdoce et de ministère dans la Congrégation.
En ce mercredi 3 juillet 1889, les Petites Sœurs perdent dans le Père Lelièvre "leur plus dévoué serviteur" et les pauvres, "leur plus grand ami"! La Congrégation, qui avait une trentaine de maisons lorsqu'il s'y associa, en compte en cette année deux cent soixante-trois. "Il avait été l'un des principaux instruments de cette merveille."
"La mort du cher Père Lelièvre est pour moi un chagrin personnel. pendant trente-cinq ans nous nous sommes aimés de la plus étroite amitié. La perte est grande pour les Petites Sœurs des Pauvres, auxquelles il s'est dévoué avec un zèle si ardent! Son nom, qui sera honoré et chéri partout, ne le sera nulle part plus qu'à Londres et en Amérique." - Le cardinal Manning(1808-1892), Archevêque de Westminster.
"Votre saint frère est allé recevoir la récompense de sa vie austère et apostolique. tous les vieillards et toutes les épouses de Jésus Christ qu'il a conduits au ciel ont dû l'accueillir à la porte du paradis. Sa vie et sa mort sont un trésor de grâces pour votre famille, pour l'Eglise et pour les Petites Sœurs des Pauvres. Il est de ceux sur lesquels on ne pleure pas, et pour lesquels on ne prie pas, tant on a la certitude de leur repos dans la lumière et dans la paix de Dieu. invoquez-le pour moi, car il m'honorait de son affection." Mgr Mermillod(1824-1892) à son frère M. Gustave Lelièvre, 26 juillet 1889.
Seigneur Jésus, par la vie et le ministère du père Ernest Lelièvre, Tu as donné à Ton Eglise un ami des pauvres et un missionnaire infatigable au service des Personnes Agées, dans la famille religieuse fondée par sainte Jeanne Jugan. Tu lui as donné la grâce d'avoir une immense confiance en saint Joseph, l’Époux de Marie.
Daigne exaucer nos prières et nous accorder la grâce que nous sollicitons par son intercession... (formuler la grâce demandée)
Nous Te le demandons à Toi qui vis et règnes avec le Père dans l'unité du Saint-Esprit, un seul Dieu, pour les siècles des siècles. Amen.
Avec l'autorisation de Mgr Pierre d'Ornellas, archevêque de Rennes, Dol et St Malo.
les personnes qui obtiennent des grâces par l'intercession du Père Ernest Lelièvre sont invitées à écrire à la
Maison Mère des Petites Sœurs des Pauvres, 3 La Tour St Joseph - 35190 Saint-Pern
Les personnes qui obtiennent des grâces par l'intercession du Père Ernest Lelièvre sont invitées à écrire à la
Maison-Mère des Petites Sœurs des Pauvres,
3 La Tour St Joseph-35190 Saint Pern
ou
Par mail
Sources :
- Ernest Lelievre et les fondations des Petites Sœurs des Pauvres d’après sa correspondance, 1826-1889, Mgr Louis Baunard, 503 pages, CH.Poussielgue, 1906.
- Ernest Lelièvre, livret commémoratif, Petites Sœurs des Pauvres, 80 pages, 1989.
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